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L’espoir est permis pour le cancer du poumon

{{ config.mag.article.published }} 12 octobre 2020

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© Julie Bernard

Diagnostiquée souvent tardivement, avec un pronostic en général sévère, cette pathologie effraie. Mais la révolution thérapeutique est en marche, et la prise en charge des patients ne cesse de s’améliorer.

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S’entendre dire que l’on a une tumeur au poumon est toujours glaçant. Parce que c’est de plus en plus fréquent, notamment dans la population féminine, chez qui ce cancer progresse de 3,5 % par an depuis 1990 .

chiffres-cancer-poumon-rosemagazine-18-rose-up-associationEt parce qu’il est la cause de 33 000 décès par an. Une sinistre statistique qui le place de fait en tête des cancers les plus redoutables, principalement en raison de son dépistage souvent tardif, qui rend sa prise en charge plus incertaine, même si les dernières avancées de la médecine donnent de nouvelles raisons d’espérer.

Ce retard de diagnostic s’explique par la discrétion des premiers symptômes. Et, même lorsque l’on remarque une toux persistante, un essoufflement inhabituel ou une fatigue générale, on ne fait pas forcément le lien… De surcroît, ce cancer grandit « en silence », c’est-à-dire sans que la victime éprouve de douleur. Le poumon ne possède en effet aucun récepteur qui permettrait de la ressentir, et celle-ci n’apparaît que si la tumeur ou des métastases commencent à toucher la plèvre ou les côtes, par exemple. Au point qu’il n’est pas rare que la pathologie soit découverte par ce qui apparaît souvent aux patients comme un concours de circonstances. « Je me sentais fatiguée, j’avais très mal au genou, se souvient Cathy Quiros, victime d’adénocarcinome successivement sur ses deux poumons, en 2013 et en 2018 . Les anti-inflammatoires n’ayant rien donné, ma généraliste était sur le point de me prescrire une radio du genou et des lombaires quand son regard s’est arrêté sur mon dernier essai de vernis, un noir qui ne m’allait pas très bien. Je lui ai dit que c’était sûrement parce que mes ongles avaient une drôle de forme que le résultat n’était pas joli. Elle a alors ajouté à sa prescription une radio des poumons. » Le lien entre manucure et cancer du poumon n’a rien d’évident pour le commun des  mortels ; pourtant, une forme bombée des ongles peut être due à une protéine ressemblant à une hormone sécrétée par certaines tumeurs pulmonaires.

Une chirurgie efficace

Une fois passé le choc de l’annonce, ce sont souvent les échanges avec les médecins qui aident à retrouver l’espoir. « Mon poumon gauche était presque totalement atteint. J’ai heureusement eu la chance d’être orientée vers un “super chirurgien”, en qui j’ai tout de suite eu confiance. Il m’a dit : “Je vais vous en sortir.” À chaque fois que je le vois, c’est lui qui me fait remonter la pente » , raconte Martine Frappa, 65 ans, diagnostiquée en août 2017. Il faut dire que le choix des armes à disposition des praticiens s’est considérablement élargi ces dernières années, avec des résultats plus qu’encourageants. En commençant par la chirurgie.

L’approche thérapeutique dépend ici de l’apparence de la tumeur. Car, en réalité, il n’existe pas un mais plusieurs cancers du poumon. Selon l’aspect microscopique des tumeurs, on distingue ceux dits à petites cellules (15 % des cas) des « non-à petites cellules » (85 % des cas). Dans cette catégorie majoritaire, le sous-type le plus répandu est celui des adénocarcinomes (45 % de l’ensemble des patients atteints de cancer du poumon), devant les carcinomes épidermoïdes (30 %) et les autres sous-types (10 %). Lorsque la chirurgie peut être proposée pour enlever tout ou partie d’un lobe, ou parfois le poumon entier, c’est que la tumeur est suffisamment petite, et localisée. Le pronostic est alors encourageant. Parfois, même, c’est le recours à la chirurgie mini-invasive, éventuellement assistée par un robot, qui sera envisagé. Cette pratique permet de ne réaliser que trois ou quatre incisions de quelques millimètres ou dizaines de millimètres au lieu d’ouvrir la cage thoracique du patient.

Cette innovation limite les douleurs postopératoires et leur durée. « Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. J’aurais aimé, par exemple, que l’on me dise que j’irais en soins intensifs juste après. Mais, au final, je suis rentrée chez moi deux jours après l’opération, un record ! témoigne Floriane Bozzo, qui a été opérée avec cette technique le 14 novembre 2019. Rentrée chez moi, j’ai dû rester allongée pendant deux jours et…choisir entre marcher et parler, car je n’arrivais pas à faire les deux en même temps la première semaine. J’ai aussi ressenti des douleurs aiguës dans le poumon fantôme. Mais, dès le mois suivant, j’ai commencé à revivre ! Sans conteste – et je tiens à le dire ! –, c’est grâce à cette technique que je me suis remise. » Un soulagement partagé par Martine Frappa, qui, elle, a subi en chirurgie traditionnelle une ablation complète du poumon gauche, il y a deux ans et demi. « Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de traitement. Il me reste des difficultés respiratoires, surtout avec la chaleur. Je suis vite essoufflée et fatiguée, mais les examens ont montré que mon poumon droit s’est développé, prenant une partie de la place laissée libre, ce que je trouve très beau. »

Les femmes, biologiquement mieux armées ?

Chaque année, près de 15 000 femmes se découvrent atteintes d’un cancer du poumon. Un chiffre qui a augmenté au rythme de +5,3 % par an en moyenne entre 1990 et 2018 (alors que sur la même période il a diminué de 0,1 % * chez les hommes). Il correspond à l’arrivée à la soixantaine (un âge critique pour cette pathologie) des premières générations de femmes ayant vécu l’époque où le tabagisme féminin se banalisait.

Par ailleurs, le pourcentage de patientes développant des adénocarcinomes alors qu’elles ne fument pas est supérieur à celui observé chez les hommes. Cela étant dit, chez les femmes, le pronostic est légèrement meilleur : chez elles, les cellules cancéreuses présentent plus souvent des altérations moléculaires dites actionnables, c’est-à-dire que l’on peut viser spécifiquement, grâce à certains médicaments, dans le cadre d’une thérapie ciblée. Pourquoi ces différences ? La science ne les explique pas encore. Élucider leur cause pourrait faire évoluer la prise en charge de la maladie, aujourd’hui identique pour les deux sexes.

Lorsque la chirurgie n’est pas possible, ou que des métastases sont présentes, l’angoisse et la tension montent encore d’un cran. De fait, il y a quelques années encore, le taux de survie à cinq ans de patients atteints de cancer du poumon et présentant des métastases était de 1 à 2 % à peine. Mais l’arrivée de nouvelles thérapies particulièrement efficaces a radicalement modifié la prise en charge de cette pathologie, et fait renaître l’espoir chez ceux qu’elle touche. Le taux de survie à cinq ans des cancers métastatiques est aujourd’hui de 15 %. « C’est encore très insuffisant, bien sûr, mais ce que je dis toujours à mes patients, c’est que la recherche s’accélère. Tous les mois ou presque, de nouveaux résultats d’études cliniques sont rendus publics. Plus on avance dans le temps, plus l’arsenal thérapeutique s’élargit et mieux on arrive à cibler les traitements », souligne le Dr Philippe Girard, pneumologue à l’institut du thorax Curie-Montsouris.

Un logiciel pour prévenir les rechutes…

Pour améliorer leur suivi, les patients ayant été touchés par un cancer du poumon, qui ont souvent besoin d’une surveillance à vie, pourront désormais compter sur… leur smartphone. Imaginé par l’oncologue Fabrice Denis, de l’institut Jean-Bernard, au Mans, le logiciel Moovcare invite chaque patient à répondre toutes les semaines à une dizaine de questions simples sur sa température, son poids, la survenue d’un manque d’appétit, d’essoufflements, de signes de dépression ou encore d’épisodes de gonflement brutal du visage. Un algorithme détermine alors le risque de récidive ou de complications, et adresse le cas échéant une alerte au médecin référent afin d’anticiper, lorsque c’est nécessaire, les examens prévus en routine. Une étude clinique menée en 2014 et 2015 sur 121 patients a laissé entrevoir des résultats spectaculaires, avec un risque de décès qui chuterait de 67 %.

Des progrès tous azimuts

Dans le cas des cancers non à petites cellules, on va d’abord rechercher la présence de mutations génétiques spécifiques dans les cellules tumorales. Celles-ci sont en effet susceptibles d’être visées par des médicaments innovants, les fameuses thérapies ciblées, en progression constante avec l’arrivée de nouvelles générations. Administrés par voie orale, ces comprimés sont souvent mieux tolérés et plus efficaces que la chimiothérapie, qu’ils permettent d’éviter ou de retarder pendant plusieurs années. Trois quarts des patients répondent bien à ces traitements pendant un à trois ans, parfois même un peu plus. Au terme de cette période, une autre innovation majeure de ces dernières années, l’immunothérapie, peut être proposée. Efficace, elle aussi, et parfois pendant plus de cinq ans, cette approche, qui vise à lever les freins empêchant les défenses naturelles de l’organisme de lutter contre la prolifération des cellules cancéreuses, tend à se généraliser, en association ou non avec la chimiothérapie.

Ces progrès thérapeutiques tous azimuts, Catherine Veret est bien placée pour en parler. Aujourd’hui âgée de 58 ans, elle a découvert en mars 2017 qu’elle était atteinte d’un carcinome non à petites cellules. Trois ans plus tard, elle a déjà une longue expérience de ces différents traitements. « Avant même d’avoir reçu tous les résultats des analyses effectuées dans la foulée du diagnostic, l’équipe médicale, au vu de la présence de plusieurs métastases, dont deux osseuses, a pris les devants en commençant une chimiothérapie classique. La veille de la seconde chimio, j’ai appris que j’allais pouvoir recevoir une thérapie ciblée », relate-t-elle. « Celle-ci a très bien fonctionné pendant six mois, avant une grave complication sous forme d’hépatite médicamenteuse. Nous avons alors tenté l’immunothérapie, mais les métastases revenaient. Donc, en août 2018, nouveau changement de traitement avec une autre thérapie ciblée. Six mois plus tard, j’ai reçu mon plus beau cadeau de Noël : la nouvelle de ma rémission. J’ai encore des prises de sang toutes les quatre semaines et des contrôles TEP Scan tous les trois mois. »

Si Catherine respire après ce long combat, elle reste pour l’instant en arrêt maladie : « Mes médecins ne veulent pas que je reprenne pour l’instant mon travail, à Amazon, en horaires décalés et où l’on respire pas mal de poussière. » Pour France Thibaudeau, bientôt 72 ans, la question de la reprise du travail ne se pose pas. Pour autant, la maladie a changé la façon de vivre de cette ancienne éducatrice spécialisée, diagnostiquée en 2014 d’un adénocarcinome : « Traverser ce genre d’événements conduit à voir la vie d’une autre façon. On s’habitue, je pense, à l’idée du cancer et à l’idée de la mort, tout en espérant la vie. Je sais, en tous les cas, que mon envie, mon goût forcené de vivre m’ont été d’une grande aide.« Et j’emm… ceux qui auraient voulu que je me sente coupable ! »

Vers un dépistage précoce

poumon-cancer-illustration-rose-up-association-rosemagazineCulpabilité… Un sentiment avec lequel nombre de malades, de ce cancer en particulier, doivent vivre. Aussi injuste que cela puisse paraître, les personnes touchées sont en effet très fréquemment tenues pour responsables de ce qui leur arrive. Ce qui agace terriblement Séverine Torrecillas : « Fumeur ou non-fumeur, personne ne mérite d’avoir un cancer du poumon ! » Cette psychologue au CHU de Lyon a cofondé, avec six patients, De l’air !, la première association française de personnes atteintes par le cancer du poumon. Ils ont déjà réalisé un livre de recettes compilant des astuces pour faire face aux effets secondaires des traitements, et mis en place une offre d’activités physiques adaptée aux personnes touchées par le cancer du poumon. Mais leur grand cheval de bataille est de sortir les patients de leur isolement. Depuis l’été 2019, l’association organise donc, deux fois par mois, des « cafés-rencontres » pour les aider à mieux traverser l’épreuve de la maladie.

Ils viennent y parler de leur parcours, échanger des conseils et se libérer du poids de certains préjugés qui pèsent sur leurs épaules. Des préjugés qui ont « des conséquences graves et révoltantes en matière de financement des recherches ou des efforts de dépistage. Tout se passe comme si l’on considérait que ces gens ne méritent pas d’être soignés ! » dénonce Séverine Torrecillas. Malgré tout, les choses commencent à bouger. Ainsi la systématisation du dépistage, souhaitée d’ailleurs par de nombreux médecins, est aujourd’hui une piste très étroitement étudiée. La Haute Autorité de santé devrait prochainement prendre position sur le sujet, à la suite de la parution, le 29 janvier 2020, dans le New England Journal of Medicine d’une étude européenne qui était très attendue, laquelle a prouvé l’intérêt de proposer aux populations à risque un scanner thoracique annuel.

En parallèle, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer a soutenu différents travaux de recherche ayant pour but d’optimiser l’efficacité d’un tel dépistage. « Notre travail, soutenu par la fondation depuis 2016, vise à  mieux cibler les populations à qui un scanner thoracique serait proposé, en identifiant par une simple prise de sang des protéines associées aux tumeurs, détaille Mattias Johansson, du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), à Lyon.  Nous avons montré que l’on trouvait une concentration significative de ces biomarqueurs dans le sang plusieurs années avant le diagnostic. Cette méthode est plus efficace que le seul ciblage des fumeurs ou anciens fumeurs. »

Au CHU de Nice, l’équipe du Pr Paul Hofman a, elle aussi, reçu un financement pour suivre les personnes exposées à la pollution atmosphérique, en misant sur l’analyse d’échantillons de sang, d’urine et de tissu pulmonaire.  « L’objectif consiste à identifier une signature caractérisant la prédisposition d’un individu à développer un cancer du poumon s’il a été exposé à ce type de pollution. Et ce sans pour autant multiplier les échantillons biologiques.»

L’étude suit, dans plusieurs villes de France, une cohorte de 1 500 non-fumeurs ayant développé une insuffisance respiratoire ou un cancer du poumon. À terme, elle devrait faciliter la prise en charge précoce de patients qui, sans ces travaux, n’auraient pas été ciblés par les tests de dépistage. De nombreux progrès ont aussi été enregistrés dernièrement dans le domaine de l’accompagnement des anciens patients, pour prévenir les rechutes (lire l’encadré). Enfin, des logiciels misant sur l’intelligence artificielle s’avèrent plutôt efficaces pour améliorer la fiabilité du diagnostic. À l’avenir, ils pourraient également aider à prédire l’efficacité des traitements, contribuant de manière significative à améliorer la prise en charge des patients.

En finir avec la stigmatisation

Difficile de parler de son cancer sans s’entendre demander, en retour, si l’on est fumeur. Une question lourde de sous-entendus culpabilisants, et réductrice.Certes, le tabac est le facteur de risque numéro un. « Mais il y a une autre réalité qui n’est pas encore entrée dans la tête des gens, c’est le lien entre le cancer du poumon et la pollution atmosphérique, qui rend encore plus absurde cette stigmatisation », pointe le Pr Paul Hofman, du CHU de Nice. Sans oublier bien sûr  le tabagisme passif, les facteurs génétiques ou l’exposition professionnelle à différentes substances, amiante en tête. Entre 10 et 15 % des personnes atteintes de cancer du poumon n’ont d’ailleurs jamais fumé. Et ceux qui sont victimes de la maladie n’avaient pas forcément une mauvaise hygiène de vie. Mais les préjugés ont la vie dure, et ils sont encore plus difficiles à supporter pour les patientes femmes, comme en témoigne Floriane Bozzo : « Ayant reçu successivement un diagnostic de cancer du sein, en juillet 2019, et de cancer du poumon, trois mois après, j’ai vécu les deux annonces. Dans le second cas, le vide s’est fait de manière encore plus flagrante autour de moi. J’ai eu l’impression d’être en plein dans le tabou…

 

Illustration : Julie Bernard

Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 18, p. 74)


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Muriel De Vericourt

Journaliste scientifique

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