« Enfin ! » lance Aurélie Benoit Grange. Aujourd’hui, après 3 mois et demi de fermeture forcée – Covid oblige – la directrice de la Maison Rose de Paris a pu à nouveau accueillir les femmes touchées par le cancer. Sous certaines conditions toutefois. « Nous ne pouvons pas organiser d’ateliers à l’intérieur mais nous avons obtenu l’autorisation d’organiser des événements, en nombre restreint, à l’extérieur» explique-t-elle.
« Une ré-introduction à la vie»
Ça tombe bien : la coulée verte, un espace arboré de la capitale, est à 2 pas. Pour la reprise, ce sera donc pique-nique. Ou plutôt « Pink-nic ». Le temps n’est pas au rendez-vous. Les mines sont pourtant ravies. Les 12 femmes qui ont fait le déplacement s’assoient à même la pelouse, certaines retirent leurs chaussures, et commencent à étaler leurs victuailles. Un peu plus loin, un groupe d’enfants se pourchassent en criant.
Brigitte tire de son sac une bouteille au contenu rouge pétant. « C’est un jus de fruits et légumes maison, qui en veut ? » Puis, elle sort un bocal en verre dans lequel se superposent des couches de lentilles, de légumes… « C’est la recette qu’Aminata, la naturopathe, a présenté lors de l’atelier en ligne de ce matin » explique-t-elle.
Sandra savoure ce moment convivial. La quarantenaire habite à 2 pas et a passé le confinement seule. Ces retrouvailles sont comme une délivrance. « J’avais l’impression d’être Raiponce parce que je suis célibataire et que j’habite au dernier étage d’une tour, plaisante-t-elle. Je me sentais très seule. Les seuls contacts que j’avais étaient par Skype avec ma famille. J’avais aussi une peur viscérale de sortir à cause du Covid. » Ce pique-nique est l’occasion d’affronter sa phobie. « Je m’étais persuadée que j’étais bien chez moi. Je ne me rendais pas compte à quel point on a besoin d’être avec les autres, ajoute-elle, la gorge serrée. Le fait d’être dehors, d’entendre les oiseaux, les enfants, de voir les arbres… C’est une réintroduction à la vie ! »
« On revient dans la ronde»
Brigitte, assise à côté d’elle, opine de la tête. Elle aussi a eu du mal à se déconfiner. Mais pour d’autres raisons. « J’ai trouvé cette période traumatisante à cause des messages contradictoires, de la distanciation… Et en même temps, ça venait à point nommé : j’avais besoin de ce repos imposé que n’aurais jamais osé prendre. Du coup, maintenant j’ai du mal à sortir de mon cocon. » Ce qui l’a motivée à s’extraire de sa zone de confort ? « Revoir des visages familiers. C’est rassurant. Ça me raccroche à un futur où ces personnes auront leur place. On revient dans la ronde. »
« Un réel support de vie »
À l’opposé dans le cercle, une jeune femme, foulard noué sur la tête, est en grande conversation avec sa voisine. C’est Marine. Elle est nouvelle dans la bande. Son cancer du sein a été diagnostiqué juste avant le confinement. Elle était alors expatriée à Singapour. Elle a fait le choix de rentrer en France pour se faire soigner. « Je ne connaissais pas la Maison Rose. Je l’ai découverte au travers des ateliers en ligne. J’étais en tout début de traitement, je connaissais rien à rien. J’ai trouvé ça génial ! Et pourtant je suis super exigeante. J’ai suivi les ateliers socio-esthétiques et c’était pas juste apprendre à se mettre du vernis : c’est du vrai contenu ! » Lydia, sa voisine de pique-nique, acquiesce : « Vous avez vraiment été super réactives. Bravo ! C’était un réel support de vie. »
Cette communicante est adepte de la Maison Rose depuis 6 mois et est vite devenue accro à ce nouveau format : « Je suivais au moins un atelier par semaine. Et pourtant, j’avais des galères avec ma connexion internet ! »
Lydia, son cancer, elle « le planque » sous une belle perruque. Alors, elle profite de ce moment de partage. « Je ne parle pas beaucoup de mon cancer. Peu de personnes sont au courant en fait. Mais la Maison Rose est à part. Et j’avais envie de retrouver cette atmosphère. J’aime écouter les parcours des autres femmes et aussi raconter le mien. Comme à Marine. Il faut dire que j’ai bien vécu ma chimio et mon hormono. Quand je dis ça les gens me regardent avec des yeux ronds. » Elle sourit à Marine qui a encore du mal à évoquer son cancer sans que les larmes ne montent.
La petite nouvelle n’est toutefois pas tout à fait perdue. « Grâce aux webinaires, j’ai l’impression de vous connaître déjà très bien » confie-t-elle à Siham, chargée d’accueil, qui a animé une partie des ateliers en ligne. « J’ai compris que tout le monde était hyper bienveillant alors je ne me suis pas posé de questions quand j’ai vu la proposition de pique-nique. On tire toujours quelque chose des rencontres que l’on fait » conclut-elle avant de repartir dans sa discussion avec Lydia.
Emilie Groyer