Chaque année, ce sont près de 340 000 personnes qui sont traitées par chimiothérapie en France. A chacune de leur séance, le médicament qui leur a été prescrit arrive jusqu’à elles sous une forme liquide, le plus souvent, et dans une poche prête à l’injection. Ces poches ne sont stables que pendant un intervalle de temps qui va de quelques heures à quelques jours après leur préparation. Une véritable organisation industrielle est donc nécessaire pour les préparer. Mais tout commence… en pleine nature.
Les principes actifs qui servent à fabriquer les médicaments anticancéreux sont en effet largement issus d’organismes vivants (arbres, fleurs ou bactéries). C’est par exemple le cas pour le Taxotere – prescrit notamment dans le cadre des traitements des cancers du sein, de l’ovaire ou du poumon –, dont le principe actif est issu de l’if. Après extraction, ce composé naturel va subir plusieurs transformations chimiques assez lourdes et complexes dans les usines des fabricants, souvent situées dans les pays émergents. Il faut savoir que, à chaque étape de l’élaboration des anti-cancéreux, une batterie d’analyses ont lieu pour s’assurer de la conformité du produit aux recommandations des autorités sanitaires. Une fois fabriqués, les médicaments sont stockés, en attendant leur livraison, à la demande, aux hôpitaux.
Un contrôle continu et permanent
Au sous-sol de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, 300 doses de chimiothérapie sont préparées chaque jour. C’est le travail de 30 personnes, qui s’affairent dans un espace de 400 m2 sécurisé, et aseptisé. Pour pénétrer dans cette « salle blanche », il faut quitter ses vêtements de ville pour revêtir une blouse, une charlotte et des gants, afin d’éviter toute contamination des préparations. Les boîtes d’anticancéreux qui sont livrées ici sont immédiatement essuyées à l’aide de lingettes désinfectantes puis stérilisées avant leur utilisation. Les paillasses de laboratoire où l’on va préparer les poches de chimiothérapie se trouvent, elles, dans des box vitrés et hermétiques. Chaque matin, des prélèvements y sont réalisés pour détecter la présence éventuelle de microbes, et une fois par mois tout est nettoyé de fond en comble et restérilisé.
« En France, 340 000 personnes sont traités par chimiothérapie chaque année »
Pour s’assurer que chaque patient reçoive bien le produit qui lui est destiné, les équipes médicales ont recours à une kyrielle de précautions. Dès l’arrivée des lots de médicaments à l’hôpital, leur code-barres ou QR code est scanné et enregistré afin de garantir leur traçabilité. Ainsi, le cas échéant, on pourra facilement remonter jusqu’au fabricant, qui a lui-même archivé les résultats des analyses chimiques effectuées au cours de la fabrication du médicament ainsi que toutes les données relatives à la maintenance de ses équipements et au transport.
Une attention particulière est ensuite portée au contrôle des différentes étapes de préparation au sein de la pharmacie. Selon les hôpitaux, le travail des préparateurs est scruté et suivi différemment. Il peut s’agir d’un « double contrôle visuel », où un second opérateur observe et valide les gestes du préparateur. Ce dernier peut aussi être filmé par une caméra couplée à un logiciel d’intelligence artificielle qui repère et valide la nature des produits utilisés ainsi que leur volume. Enfin, on peut procéder au prélèvement d’une partie du produit fini, que l’on soumet à des tests chimiques pour valider sa composition. Lorsqu’il s’agit de chimiothérapies fréquemment prescrites et standardisées, leur préparation est en général réalisée par des robots. Ces derniers aussi opèrent sous l’œil vigilant d’une caméra.
Quels que soient les modes de contrôle, en bout de chaîne, un pharmacien vérifie que tout s’est déroulé normalement avant de générer la livraison de la poche au service concerné. Un parcours sous haute surveillance donc, où rien n’est laissé au hasard…
Un parcours sous haute surveillance
1) Le choix du ou des produits de chimiothérapie, la dose, le mode d’administration sont adaptés à chaque patient. Le médecin puise pour ce choix dans un répertoire de protocoles de référence, validés collégialement par les médecins et les pharmaciens de l’hôpital. Ces arbitrages incluent entre autres la sélection des fabricants, selon une batterie de critères tels que l’association de la substance active à des produits limitant au maximum les effets secondaires. Une fois la prescription établie, le médecin l’envoie au pharmacien de l’hôpital.
2) Le pharmacien imprime une fiche de fabrication personnalisée sur laquelle figurent de façon détaillée le nombre de flacons de médicaments et de solvants nécessaires à l’élaboration du traitement, les volumes à prélever et les numéros d’identification des lots dont on se sert. S’y trouvent aussi des étiquettes portant un code-barres d’identification du patient. On viendra coller une étiquette sur la poche pour éviter toute erreur. Elle permettra de retrouver facilement toutes les informations enregistrées à chaque étape.
3) Dans la salle blanche, où l’air est filtré pour limiter tout risque de contamination,un laborantin rassemble les produits et le matériel nécessaires à la préparation de la poche, selon les indications de la fiche. Il les passe ensuite à un préparateur, qui les place dans un sas de stérilisation.
4) À l’intérieur d’un box hermétique où un désinfectant est injecté en continu, le préparateur dissout le produit actif pour obtenir une solution injectable. Chaque étape est scrutée par une caméra couplée à un logiciel d’intelligence artificielle capable de reconnaître les flacons de médicaments et la poche de diluant, de lire les graduations des seringues pour vérifier les volumes prélevés, et de contrôler le code figurant sur l’étiquette d’identification.
5) Placée dans un sachet transparent, la poche est enfin prête à sortir. Mais, avant, le pharmacien en vérifie l’aspect extérieur, ainsi que les enregistrements effectués par la caméra. Si besoin, il peut aussi accéder aux informations relatives au déroulement de la fabrication du principe actif et de son transport. Si tout est conforme, il « libère » les poches, qui sont livrées dans les services où les patients auxquels elles sont destinées les attendent.
6) Avant de commencer la séance de chimio, l’infirmier scanne le code-barres situé sur la poche, ainsi que celui inscrit sur le bracelet remis au patient à son arrivée à l’hôpital et celui qui figure sur son propre badge. Cela lui donne accès à un dossier numérique où sont consignées des instructions indispensables telles que l’ordre d’administration des produits et la vitesse d’injection.
Infographie Iris de Vericourt
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 20, p. 72)