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"J’ai perdu ma voix mais pas la guerre"

{{ config.mag.article.published }} 8 juin 2018

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Nadine, 55 ans, a retrouvé son souffle en parlant de son cancer du larynx dans un petit livre bleu. Rencontre.

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A 32 ans, alors que Nadine mène une vie trépidante, -un super job d’infirmière, deux enfants, des amis, des voyages autour du monde… -, « Monsieur Cancer » frappe à sa porte. Depuis quelques temps, sa voix était rauque. « Mais j’ai toujours eu une voix de mec », raconte-t-elle. Mal à la gorge, douleur persistante… L’ORL consulté à Bordeaux confirme rapidement des lésions « précancéreuses » sur les cordes vocales. Elle s’envole tout de même pour la Guadeloupe avec son mari. « C’est à 10 000 km que j’ai appris que j’avais un cancer des cordes vocales. L’annonce fut violente : je risquais de perdre ma voix ». Tout va très vite. « Opérée le 7 février 1995(…), je me suis endormie en pensant à mes trois hommes. Mes garçons, Romain et Nicolas, étaient vraiment petits, ils avaient 7 et 5 ans. J’ai eu si peur de ne jamais les revoir. Le réveil fut terrifiant. Des tuyaux partout : j’avais une trachéotomie, une sonde gastrique… Je ne pouvais ni boire, ni manger et surtout je ne pouvais plus parler. J’avais perdu ma liberté d’expression ».

Sans voix

C’est  grâce à une « ardoise magique » que Nadine pourra continuer à communiquer. « Mais ma pensée allant plus vite que ma main pour écrire,  que de frustrations ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ablation des cordes vocales me permettait quand même de parler. Il me fallait apprivoiser une autre voix. J’ai fait de la rééducation orthophonique. Comme un petit enfant, je réapprenais à faire des sons, des mots et des phrases. Ma voix était masculine, monocorde, sans registre grave, ni moyen, ni aigu. Et surtout, je n’avais  pas le corps qui allait avec la voix ! Je le voyais, le ressentais, dans le regard des autres. C’est à ce moment-là que les enfants ont compris ma différence. Je les sifflais pour les appeler, je tapais des mains pour les faire venir à table ».

La vie a été la plus forte

Grâce à sa volonté sans faille, Nadine finit par apprivoiser sa nouvelle voix. Elle retrouve son rythme de vie, son travail, ses activités sportives : « je grimpais en vélo le col d’Azet pour mon anniversaire en février ! ». Avide de voyages, entre deux contrôles à l’hôpital à Bordeaux, elle s’efforce de vivre (presque) comme avant. Les années passent. Les enfants grandissent. Mais neuf ans plus tard, la jeune femme ressent une nouvelle gêne en parlant lors d’un voyage en Corse. Elle retourne chez le « Professeur Magicien » à Bordeaux pour un prélèvement sous anesthésie générale. Une fois encore, l’attente est terrifiante. La nouvelle tombe peu après : « Monsieur Cancer » avait seulement dit au revoir, pas adieu… ».

L’intervention

« Cette fois-ci, j’ai choisi de me faire opérer à Toulouse. La chirurgienne me parlait, me comprenait. Quand je suis partie à l’hôpital, assise dans la voiture avec mon mari, j’ai regardé ma vallée de très haut, comme si je la regardais pour la dernière fois. J’ai eu peur du « plus jamais », ne plus jamais parler, ne plus jamais vivre. J’allais être laryngectomisée. Ce soir-là mon mari m’a fait refaire mon annonce téléphonique. Ce sont mes derniers mots. Je les garde précieusement. »

L’hospitalisation

« Je devais garder le cap et arriver à bon port. C’était mon objectif coûte que coûte.  Après l’opération, ma première journée fut un cauchemar : je ne pouvais ni boire, ni manger, ni sentir, ni parler… Je souffrais tellement que l’on a dû m’endormir ». (…). »

La famille de Nadine se relaie à son chevet. Son mari. Ses fils. Son frère. Sa cousine médecin… Ses parents, qui la remplacent à la maison, ses amis. Les jours s’enchaînent. Nadine reprend des forces. Se lève. Vient le temps des premiers bons de sortie. Tenant à sa féminité, elle essaie d’être la plus belle des mamans. Malgré le trou, énorme et définitif qu’elle a dans la gorge. « Ce trou était vital, c’était ma nouvelle vie, même si ce fût terrifiant de le découvrir ». Nadine va apprendre à en prendre soin grâce aux conseils d’une infirmière spécialisée en éducation thérapeutique.

Tout recommencer

Emprisonnée dans un silence imposé, « les mots me manquaient ». Alors la jeune femme écrit sans cesse, en attendant que son oesophage cicatrise. Elle se nourrit pendant huit semaines avec une sonde. Puis enchaîne les séances de rééducation avec un orthophoniste dans un centre à Albi. Sept mois dans le silence avant de pouvoir envisager la pose d’un implant phonatoire. Un corps étranger qu’il lui faudra apprivoiser à son tour : « la prothèse fut mon sauveur vocal et vital : je l’appelle mon  » bouton magique ». Quand j’ai rencontré l’association « Les mutilés de la voix » pour me préparer à ce que serait ma vie après l’ablation du larynx, je n’ai pas voulu me projeter dans ce futur, avec cette voix oesophagienne, gutturale. Pourtant, ces personnes m’ont prouvé qu’il était possible de vivre avec une laryngectomie, avec ce handicap. Certes, mon « bouton-implant » est loin d’être sexy, mais quand je suis seule, je laisse ma peau respirer : j’enlève l’adhésif qui me brûle la peau et la cassette. Je suis alors en silence vocal».

Patiente experte

En rémission depuis février 2016, Nadine parcourt le monde, à la rencontre des autres. Notamment des étudiants en médecine, qu’elle sensibilise grâce à son histoire, des écoles d’orthophonistes, des ORL ou des infirmières mais aussi des malades, qui, comme elle, vivent un handicap : « surtout les femmes, qui vivent souvent cachées, isolées. C’est tellement difficile à vivre au quotidien, c’est une réelle mutilation et il y a tant de fonctions atteintes : phonation, déglutition, respiration…Je leur montre que revivre après ce séisme est possible. Je me rends à leur domicile ou à l’hôpital. J’aime lire leur sourire, voir leurs yeux remplis d’espoir ».

Soignante dans l’âme, Nadine redevient alors l’infirmière qu’elle n’a jamais cessé d’être. Lumineuse et bienveillante. Déléguée des Hautes-Pyrénées de l’Association des laryngectomisés de France, pour aller plus loin, elle suit actuellement une formation pour devenir patiente experte en éducation thérapeutique à Marseille. « Bien déterminée à faire avancer les choses et les comportements, même si le chemin est encore long ».

 

Extraits de : « Et si j’en parlais » de Nadine Llopis et Estelle Loiseau


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Céline Dufranc

Présente depuis 2011 et notre numéro 1, elle a promené sa plume dans toutes nos rubriques : reportage, beauté, santé, forme et bien-être… Des sujets dont elle s’empare avec le vécu de celle qui a aussi connu le cancer et qui est aujourd’hui proche aidante auprès de sa maman, atteinte d’un myélome. Son style est dans l’ADN du magazine : enjoué, complice, résolument positif.

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