Face aux cancers, osons la vie !


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Osons la vie – L’annonce du cancer. Anne : « Je suis comme Alice au Pays des Merveilles qui tombe dans le terrier du Lapin Blanc »

{{ config.mag.article.published }} 6 mai 2024

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Osons la vie – L’annonce du cancer. Anne : « Je suis comme Alice au Pays des Merveilles qui tombe dans le terrier du Lapin Blanc »

Chaque année en France, plus de 380 000 personnes reçoivent un diagnostic de cancer. L’annonce de la maladie est toujours un moment de bascule qui laisse une trace dans la mémoire de celles et ceux qui l’ont vécu. Dans cet épisode, découvrez l’histoire de Anne. C’est en vacances, en plein mois d’août, qu’elle sent une boule dans son sein. Elle décide de ne pas écouter une voix intérieure qui la taraude et qui lui répète « Regarde là ! ». Elle esquive, tergiverse, jusqu’à ce qu’un torticolis la pousse à aller voir un médecin. Anne ressort de la consultation avec une ordonnance non pas pour une séance de kiné mais pour effectuer la toute première mammographie de sa vie. Le mot « cancer » est prononcé. La voilà propulsée dans une autre dimension.

INFO+ : Osons la vie est un podcast créé par RoseUp, l’association qui informe et accompagne les femmes touchées par tout type de cancer. Produit par Louie Créative, l’agence de création de contenu de Louie Média, il est co-écrit et animé par Emilie Groyer et Sandrine Mouchet. Bénédicte Schmitt en a fait la réalisation et le mix, sur une musique de Marine Quéméré. La production est supervisée par Eloïse Normand. L’illustration est signée Alice Dès.

Vous pouvez écouter Osons la Vie sur notre site et sur toutes les plateformes comme ApplePodcast, Spotify et Deezer

Je m’appelle Anne, j’ai 45 ans. Je suis infirmière-puéricultrice et j’ai eu un cancer du sein qui a été diagnostiqué en août 2020.

Au mois d’août donc, je me suis rendu compte de quelque chose dans mon sein. Je n’ai pas voulu trop regarder, ni écouter. J’ai laissé un petit peu de côté. Et puis évidemment, le corps m’a fait signe et d’un coup, je me suis mise à avoir un torticolis du côté du sein qui me turlupinait. Me voilà partie à prendre rendez-vous avec un jeune médecin que je ne connais pas parce que ma généraliste et ma gynéco sont en vacances. Ce jeune médecin me prescrit des examens.

Je mets un petit peu de temps à les faire – parce que c’est assez anxiogène – et je reviens avec les résultats. Il les regarde bien attentivement, en particulier la mammographie. J’avais bien regardé et je n’avais rien vu. Lui regarde tout, et il me dit « Vous avez un cancer ».

« À qui je vais le dire ?« 

Je ne sais pas si je l’entends. Je ne sais pas ce que ça me fait, mais j’ai l’impression d’un coup de tomber dans une autre dimension. À ce moment-là, je suis comme Alice au Pays des Merveilles qui tombe dans le terrier du lapin blanc. Cette sensation de tomber sans pouvoir être rattrapée fait écho au tout petit bébé que j’ai été et qui – dans sa couveuse – a eu la sensation de mourir à un moment donné.

Je suis née de manière catastrophique, j’ai failli mourir, peu après ma naissance, et j’ai eu le sacrement des malades. Je pense que c’est ce qui m’a sauvée. Il y a donc eu une période où j’ai cru que j’allais mourir, mais dont je ne me rappelle pas.

Quand Alice tombe, elle voit les niches avec plein de choses dedans. Moi, j’avais l’impression de tomber et de regarder ma vie comme ça, sans en n’être plus maître du tout. Je suis là, et pas là en même temps. Et tout ce que j’arrive à dire, c’est « Merci beaucoup » – ce qui est complètement surréaliste -,  et je me rappelle serrer la main de ce médecin. En août 2020, on est dans le Covid, on ne se touche plus, on ne s’embrasse plus. Mais là, j’ai besoin de serrer la main de quelqu’un parce qu’il faut que je me raccroche à quelque chose de réel. Il le sent, il le comprend, et je repars avec cette main serrée. Je flotte.

Je sors. J’habite près du canal Saint-Martin et j’emprunte un des ponts. C’est exactement comme si j’étais entre deux mondes, entre deux rives, et je regarde l’eau. Je ne sais pas quoi faire, je suis perdue. Je me dis « Comment je vais faire pour le dire ? À qui je vais le dire en premier ? Et comment je vais le dire sans m’effondrer ? ».

La première personne que j’appelle, c’est ma plus vieille amie. Je l’appelle parce qu’elle a perdu sa maman quand elle avait 18 ans. Elle est morte d’un cancer et du coup, je me suis dit que c’est elle que je devais appeler. Elle est en plein milieu de ses courses au supermarché. Je lui dis que j’ai un cancer et je pleure au téléphone. Elle ne comprend pas. Elle me dit « Mais quoi ? Quoi ? Je te rappelle ». Et je rentre chez moi.

À la maison, il y a mon mari qui est en télétravail. Je lui dis : « C’est un cancer ». Avant les examens, après les examens, on avait évoqué ce mot, « cancer », à la maison. Mais, il y a une différence entre en parler et se l’entendre dire. Moi, je ne sais vraiment plus où j’en suis. Et lui, avec sa carrure de gros nounours, est aussi tétanisé que moi. Je sais qu’il a très peur des maladies et de la mort. Et on se serre dans les bras parce qu’il fallait quelque chose de tangible dans ce tsunami qui nous prend alors tous les deux…

Pour lui, me prendre dans ses bras, c’était me protéger de tout ça.

« Finalement, il n’y a pas un cancer, mais deux« 

Je prends rendez-vous avec ma gynéco qui revient de vacances et la première question que je lui pose c’est « Est-ce que ma fille a un risque d’avoir ce cancer ? ». Elle me dit : « Il n’y a pas eu de cancer dans votre famille, c’est un accident ce cancer ». Je reste sur cette phrase, et elle m’oriente vers une chirurgienne qu’elle connait à l’hôpital.

Je vais au rendez-vous avec mon mari. Elle me dit qu’il y en a pour un an, qu’on ne va pas opérer tout de suite parce que la tumeur est trop grosse. Il faut de la chimio avant pour la réduire. Si ça marche, on fera la chirurgie, et après de la radiothérapie et une thérapie ciblée.

Je suis soignante de formation, ces termes je les connais. Je sais qu’avec la chimio, il va y avoir des trucs, des poches avec des tubulures et qu’on va me mettre du produit. Par contre, je ne réalise pas du tout l’effet que ça va avoir sur moi. Mais d’abord, il faut faire un scan et une IRM qui se fait tout de suite.

Finalement, il n’y a pas un cancer, il y en a deux. Et puis, il y a des ganglions. Tout va très vite, je n’ai pas le temps de penser. C’est grave, voilà. L’idée, à ce moment-là, c’est qu’il faut que je survive.

En sortant du bureau de la chirurgienne, on passe directement dans celui de l’infirmière d’annonce. L’entretien dure une heure. Et je pleure pendant une heure. Mon mari, lui, ne pleure pas mais il en a gros sur la patate.

Elle me réexplique tout. Elle est d’une extrême gentillesse, elle n’est pas toute jeune et elle a des sandales qui me rappellent celles des religieuses. Ce détail me réconforte énormément parce que j’ai une grand-tante religieuse et un grand-père qui a fini moine. Je regarde ses pieds, et cela me rappelle des souvenirs très chaleureux, très doux. Je me dis que c’est une bonne personne et que, forcément, ce qu’elle va me dire va me faire du bien.

La première question que je lui pose, c’est « Est-ce que je peux dire à mes enfants que je ne vais pas mourir ? ». Et elle me dit « Vous pouvez dire à vos enfants que vous n’allez pas mourir ».

J’ai très, très peur. Je pense à mes enfants je me dis que je ne peux pas mourir. Il ne faut pas que je meure. Je pense aussi au fait que dans ma vie, il me semble que je n’ai pas fait ce que je devais faire complètement. La première question qui me traverse l’esprit, c’est « Pourquoi ? ». Pas dans le sens « C’est pas juste », mais « pourquoi ça m’arrive à ce moment-là ? ». Est-ce que je vais y comprendre quelque chose ? Est-ce que ça a du sens, cette maladie ?

Je me dis que je ne vais pas y arriver. Je suis trop fragile, ça va être trop dur, j’ai trop peur…il ne faut pas que je reste toute seule. Jusqu’à présent, autant c’était difficile pour moi de demander de l’aide, autant là, je pense qu’il faut que j’ai du monde autour de moi, sinon je vais m’écrouler. Donc je l’ai dit à tout le monde. J’ai envoyé des messages. J’ai téléphoné pour dire que j’avais un cancer, que c’était grave, et que j’avais besoin d’aide.

« Je pleure mais ça va !« 

L’infirmière d’annonce me propose de voir une psychologue parce que je pleure toutes les larmes de mon corps. J’accepte avec soulagement. Je ne la vois que durant un petit temps parce qu’après je change d’hôpital. Il est probable que ce premier contact m’a aidée à prendre rendez-vous avec la psychologue de ce deuxième hôpital. Cela a été une très belle rencontre.

Heureusement qu’elle a été là, c’est elle qui m’a orientée vers un psychiatre à un moment donné.

En effet, il y a eu un changement de traitement que je n’ai pas du tout supporté. On ne m’avait pas préparée aux douleurs qu’il pouvait engendrer. Cela m’a vraiment démolie, physiquement et psychiquement.  Je me suis mise à pleurer tout le temps et je disais aux gens « Je pleure quand je te parle, mais tout va bien, t’inquiète pas ». La psychologue me disait :

– Vous voyez que ça ne va pas là quand même.

– Si si, si, ça va, je pleure, mais ça va.

Et elle m’a pris rendez-vous avec la psychiatre. Ça a duré dix minutes, je lui ai dit « Vous savez, je ne dors pas parce que j’ai peur de mourir quand je m’endors. ». Elle m’a dit « Bon… traitement. Vous revenez dans une semaine. ». Je n’étais pas d’accord mais j’ai obéi. Prendre des antidépresseurs est quand même encore très tabou, je trouve, en tout cas, moi, j’étais assez honteuse de prendre ce traitement. Mais ça m’a permis de franchir un cap, de me rassembler, de reprendre des forces et de continuer.

J’aime beaucoup la vie, j’aime beaucoup les gens. Je suis une optimiste qui croit beaucoup dans la providence et dans le bienfait des choses. Mon expérience de vie a fait que j’ai eu affaire à des gens comme ça, profondément croyants, déterminés, et tellement sûrs. Du coup, moi, je suis un peu comme ça. Je me dis que la vie est belle, qu’il y a plein de bonnes choses à prendre. C’est peut-être ce qui m’a fait dire à mes enfants que je n’allais pas mourir. Je ne voulais pas qu’ils soient en colère contre le cancer. Donc je me suis dit aussi « Il faut que je trouve des stratégies pour leur parler et leur dire que ça va… ». Donc ces deux cancers, on allait leur donner des noms ridicules parce qu’il n’y avait pas de raison qu’on se laisse faire par cette maladie.

 

Comme j’avais deux tumeurs différentes dans le même sein, on a baptisé la première Joe, parce que c’était comme Joe Dalton, une espèce de petit teigneux, méchant et agressif, ce qui était le cas. Et l’autre petite, cachée derrière, on l’a appelée Iznogood, parce que qu’elle voulait probablement être calife à la place du calife. Voilà.

« Cocotte, maintenant tu vas exister pour toi« 

Aujourd’hui, on est en 2023. L’arrêt maladie qui devait être d’un an, a été de deux ans finalement, parce que les traitements ont été plus longs que prévu. J’ai repris mon travail à mi-temps. Je vais plutôt bien. Je ne me considère pas comme guérie, mais à vrai dire je préfère ce terme-là au terme de « rémission ». Parce que la rémission, on est dans un entre-deux, et moi je n’aime pas les entre-deux. C’est soit on est malade, soit on ne l’est plus. Le terme « guéri » voudrait dire qu’on s’est débarrassé du cancer. Or, c’est une maladie dont on sait qu’elle peut revenir. Ce mot est peut-être un peu fort, alors disons que je m’accommode avec la destinée.

Mes enfants vont tous bien. Ils ont traversé cette maladie comme ils ont pu, et très courageusement. Ça a été paradoxalement difficile après la maladie parce que tout le monde s’est alors un peu effondré. Mais maintenant, ça va bien.

Moi, je suis beaucoup plus joyeuse qu’avant, encore plus optimiste. Et j’ose beaucoup plus faire ce que j’aime vraiment faire. Beaucoup de choses sont possibles maintenant. La parisienne pur jus que je suis, va s’exiler en Bretagne. Une grande étape ! Je voudrais aussi écrire et monter quelque chose qui soit en rapport avec mon travail : un accueil mère-enfant, de courts séjours, avec les femmes en précarité. Cela me tient beaucoup à cœur.

Dans ma trajectoire de vie, ce coup d’arrêt a été un déclic. Il m’a permis de me dire « Hé oh cocotte, fais un peu attention à toi ! Et maintenant tu vas exister pour toi !».

Le cancer m’a fait rencontrer des femmes très courageuses, beaucoup avec un cancer du sein, mais pas que. Je suis très admirative de leur courage et de leur force de vie. J’en ai aussi rencontré qui sont parties de ce cancer du sein, ce qui m’a beaucoup émue…

Ce cancer a été affreux et en même temps, ça a été une bénédiction. Ça m’a rendue plus forte, ça m’a fait découvrir qui j’étais. Ça m’a rendue plus combative, plus sûre de moi. Ça m’a permis de découvrir la force des liens entre les gens. Ça m’a permis de voir que je pouvais y arriver. Et puis, plus intimement, ça a fait resurgir des souvenirs que j’avais complètement occultés et qui ont fait me sentir complètement moi.

Je ne souhaite ça à personne. J’aimerais mieux avoir deux seins, que n’en avoir plus qu’un mais je suis tellement mieux maintenant qu’avant la maladie ! Ce couperet terrible, cet effroi, ces douleurs, ces doutes, creusent, mais finalement ce creux s’est rempli de tas de bonnes choses.


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Sandrine Mouchet

Journaliste, rédactrice en chef de Rose magazine et directrice de Rose Magazine Éditions

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