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Coût des médicaments : quel prix donner à votre santé ?

{{ config.mag.article.published }} 19 octobre 2016

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La polémique sur les prix des médicaments anticancéreux ne cesse d’enfler. Entre réalité et fantasmes, big pharmas et start-up, Rose Magazine enquête.

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Il en est de la vérité sur le prix du médicament comme du sens de la vie. Plus on la cherche, plus elle semble s’éloigner… Évidences trompeuses, manipulations, postures idéologiques, tous les ingrédients d’une mixture peu ragoûtante mijotent dans le grand chaudron médiatique depuis le printemps dernier: des associations placardent des campagnes alarmistes affirmant que des malades de cancer meurent faute de recevoir des traitements trop chers. Des pétitions circulent, dénonçant les prix «immoraux» imposés par les laboratoires pharmaceutiques – qui mettraient en danger l’équilibre de nos comptes sociaux. Le grand capital saignant l’assuré social, l’affiche est belle…

Non, les médicaments ne coûtent pas «plus» cher à la collectivité

Revenons au principe de réalité. En France, personne n’a jamais été privé d’un médicament anticancéreux à cause de son prix. Ce même prix est fixé par l’État au terme d’un parcours légal extrêmement documenté, complexe et encadré. Et si l’on veut avoir une vision globale, il faut savoir que la branche «médicament» des dépenses sociales est à la baisse : – 1,5 % en 2015.

Pour 2016, la loi de financement de la Sécurité sociale réduit de 1 milliard d’euros les dépenses en produits de santé. Quant aux médicaments anticancéreux, ils représentent 2 % des dépenses de l’Assurance maladie (3,7 milliards, sur un total de 168 milliards).

Donc, globalement, non, les médicaments ne coûtent pas «plus» cher à la collectivité (ce qui ne signifie pas qu’ils ne coûtent pas déjà «trop» cher), on ne prive personne de traitement, les malades de cancer ne ruinent pas à eux seuls la Sécurité sociale et ce ne sont certainement pas les labos qui «font la loi».

« En France, les prix sont en dessous de ceux de nos voisins européens »

Alors, beaucoup de bruit pour rien?

«Parler du prix du médicament est une escroquerie intellectuelle. On peut en revanche discuter des prix de certains médicaments, tout au plus une dizaine de molécules très coûteuses qui sont autant d’innovations de rupture – comme il y en a eu récemment dans le mélanome, le cancer du poumon et l’hépatite C. Pour le reste, le prix des médicaments est maîtrisé, et même globalement en décroissance ; les traitements innovants sont financés par la baisse du coût des autres médicaments. Tout est remboursé, personne n’est rationné et, en France, les prix sont en dessous de ceux de nos voisins européens», relativise Claude Le Pen, économiste et professeur à l’université Paris-Dauphine, où il dirige le master d’économie de la santé.

Un débat caricaturé à l’envi

Même discours du côté des institutionnels, qui rappellent fermement aux pétitionnaires la réalité des faits. Marisol Touraine déclarait dans Rose Magazine que « les patients ont accès aux médicaments innovants même s’ils sont coûteux ». Quant au Pr Agnès Buzyn, ex-présidente de l’INCa (Institut national du cancer) et actuelle présidente de la HAS (Haute Autorité de santé), elle cachait mal son agacement :

« En France, tous les médicaments jugés efficaces, sont accessibles et totalement pris en charge par la collectivité, quel que soit leur coût. En revanche, l’Institut national du cancer a alerté l’État, depuis longtemps déjà, sur les nombreuses innovations à venir dans le champ des médicaments qui risquent, à terme, d’engendrer un coût important pour le budget de la sécurité sociale. »

Car ce débat, simplifié, caricaturé à l’envi, récupéré à des fins démagogiques par les uns ou les autres, ne doit pas cacher le véritable enjeu, que souligne le Pr Buzyn, celui du prix, par nature élevé, des innovations à venir. Et des choix de société, des choix philosophiques qu’elles imposeront à terme.

Des médicaments  «sur mesure»

« Par nature élevé » car les nouvelles molécules combattant le cancer sont de plus en plus spécialisées. Jadis, les médecins pouvaient s’appuyer sur un petit nombre de molécules de chimiothérapie cytotoxique délivrées à la majorité des patients – et qui détruisaient les cellules cancéreuses en attaquant toutes les cellules. Aujourd’hui, de nouvelles molécules ciblent la cellule cancéreuse de manière beaucoup plus précise. Mais en s’attaquant à des cibles-cancer de plus en plus précises, les thérapies innovantes sont destinées à un public de plus en plus restreint. On pourrait dire que l’on passe de remèdes de masse à du quasi-sur-mesure et que l’on finit ainsi par s’approcher du modèle économique des maladies rares. Sur le plan économique, cela se traduit par une hausse permanente des dépenses mondiales en anticancéreux (+ 10 % en 2015).

La molécule sofosbuvir, celle par qui est arrivée la polémique…

Pourtant, ce n’est pas le prix des anticancéreux qui a initialement provoqué la polémique en France, mais celui la molécule sofosbuvir, commercialisée sous le nom de Solvadi, qui permet de guérir l’hépatite C. Coût: 40 000 euros.

« Le prix du Sovaldi a plongé les gens dans la stupeur. Pourtant, ce traitement est une révolution, on guérit l’hépatite C, jusque-là chronique. D’un point de vue purement économique, on évite des cures d’interféron, les arrêts-maladies, les cirrhoses, sans parler des transplantations. Comparé à cela, le coût du Solvadi est très modeste. Sauf qu’il faut payer aujourd’hui et pas durant dix ans », relativise Claude Le Pen.

Après « l’affaire » Solvadi, le Glivec, qui a changé la vie des malades de leucémie myéloïde chronique (30 000 euros annuels), est dénoncé. Et ce n’est pas l’arrivée du Keytruda, destiné aux malades atteints de mélanomes et de certains cancers du poumon, qui va changer les choses. Coût d’un traitement annuel aux États-Unis: environ 100 000 dollars. En France, il est actuellement en négociation.

Coût de fabrication vs. prix de vente

Qu’est-ce qui peut justifier de tels tarifs ? Pas le coût de fabrication de la molécule, qui n’excède pas quelques centaines d’euros – et c’est bien cet écart faramineux entre coût de fabrication et prix de vente que dénoncent les associations de patients et les ONG.

Un argument que balaie d’un revers de main Alain Gilbert, fondateur et associé du cabinet de conseil Bionest :

« Les laboratoires dépensent énormément en recherche et développement. Il n’est pas rare qu’une entreprise pharmaceutique investisse entre 800 millions et 1 milliard de dollars sur une molécule. Et même, parler du coût d’‘‘un médicament’’ n’a pas de sens, car un labo doit équilibrer toutes ses recherches. Certaines molécules sont développées pendant dix ans, échouent en phase 3 et ne voient jamais le jour. Les risques sont énormes. L’argent que gagne l’industrie pharmaceutique permet de lancer d’autres recherches, dont certaines seront couronnées de succès – et d’autres pas.»

Près de de 6 484 traitements du cancer sont en développement aujourd’hui dans le monde

Et des succès, il devrait y en avoir dans les années à venir : selon le cabinet GBI Research, pas moins de 6 484 traitements du cancer sont en développement aujourd’hui dans le monde. Les Big Pharmas se battent à coup de milliards de dollars pour acheter des start-up, faisant flamber de manière artificielle les coûts de recherche et développement et, au bout de la chaîne, mécaniquement, le prix des médicaments. Ainsi, après des mois de surenchères, Pfizer a soufflé Médivation au nez et à la barbe de Sanofi – pour 14 milliards de dollars!

Pourquoi un tel investissement dans les anticancéreux alors que d’autres aires thérapeutiques sont dédaignées ? Sans doute parce que les industriels sont quasi assurés d’obtenir des prix élevés aux traitements qu’ils proposeront.

La loi de l’offre et la demande

Noël Renaudin, président de 1999 à 2011 du Comité économique des produits de santé (CEPS), l’instance chargée de négocier les prix des médicaments, connaît parfaitement les processus de fixation des prix et n’est pas adepte de la langue de bois:

« Nous portons une part responsabilité importante dans ces prix excessifs. En France, nous avons un Plan cancer largement médiatisé, un Institut national dédié – l’INCa – et il existe autour de cette maladie une puissante charge d’émotivité. La demande de médicaments anticancéreux s’en trouve extrêmement acérée. Or, les prix résultent de l’offre et de la demande, c’est aussi bête que ça! Vous ne pouvez pas à la fois implorer l’industrie de créer des médicaments innovants pour guérir ‘‘deux cancers sur trois’’ tout en lui disant dans la phrase suivante: ‘‘Mais nous voulons payer moins cher ! Vous devez vous réfréner et vous montrer moraux ». »

Une campagne très agressive… signée Médecins du monde

Il poursuit: « l’éthique d’entreprise, ce n’est pas ça! Ce qu’on demande à une entreprise d’un point de vue moral c’est de respecter les lois, mais certainement pas d’organiser le partage du profit entre elle et la société. »

Pourtant, c’est bien cet argument moral qui est au centre même des campagnes dénonçant les prix « indécents » des médicaments. En vrac sont pointés les profits « record » des entreprises pharmaceutiques, leur cynisme, voire leur instrumentalisation des malades. Ainsi, Médecins du monde a défrayé la chronique en placardant sur les murs de France des slogans tels que « Le cancer du sein, plus il est avancé plus il est lucratif ».

Une « communication agressive » qu’assume Olivier Maguet, responsable de cette campagne pour l’ONG : « Notre axe principal est ‘‘le prix de la vie’’. L’affaire du Sovaldi, en 2014, a marqué une rupture dans le paradigme du prix des médicaments. Jadis, on parlait du coût de la recherche et développement: à présent, on indexe le prix de la nouvelle molécule à la somme des soins qu’elle va faire économiser en guérissant le malade. C’est inadmissible! »

Et l’association de réclamer une licence d’office sur le médicament contre l’hépatite C : selon l’article L613-16 du Code de la propriété industrielle, le gouvernement peut autoriser tout laboratoire à produire des génériques d’un médicament s’il existe un « danger pour la santé publique à cause d’un prix anormalement élevé ».

L’État peut donc outrepasser la propriété qu’a un laboratoire sur une molécule pour que d’autres labos le produisent à moindre coût. Une sorte de nationalisation du médicament – et l’arme nucléaire économique.

« Un mélange de méconnaissance crasse, de postures idéologiques et de calculs politiques »

Marisol Touraine, interpellée en juin dernier par Médecins du monde, a fait valoir que la licence d’office restait un « instrument juridique faible »: qu’est-ce qu’un prix « anormalement » élevé ? Ou placer le curseur de la normalité ? Qui décide d’un « juste » prix ? L’État seul ? Le marché ? Les médecins ? Du côté de ces mêmes médecins, tous ne sont pas, loin s’en faut, solidaires de l’ONG.

Ainsi, le Pr Vallancien, chirurgien urologue et membre de l’Académie nationale de médecine, tacle :

« Cette polémique est délirante. C’est un mélange de méconnaissance crasse, de postures idéologiques et de calculs politiques, organisé par des individus ou des associations qui veulent se faire mousser auprès du grand public. Et quoi de mieux qu’un bon cocktail démagogique? Les méchants labos, le grand capital, le pauvre malade qui bientôt n’aura pas accès à son traitement… Et d’ailleurs, ça a marché! On a vu se succéder sur les chaînes de télé des experts autoproclamés, drapés dans leur rôle de défenseurs de la veuve et de l’assuré social! On marche sur la tête! On se scandalise pour un traitement de 40 000 euros qui sauve des vies! Une dialyse coûte entre 65 000 et 80 000 euros par an et par patient. C’est 3,5 milliards d’euros annuels. Et personne ne parle de contingenter les dialyses! On est dans une folie médiatico-anticapitaliste organisée par petite secte de prêcheurs d’apocalypse. »

« On tape du poing pour redéfinir le contrat social autour du médicament »

Il est vrai que Médecins du monde ne se cache pas d’avoir voulu «faire un exemple» avec le prix des anticancéreux et du Sovaldi: « À travers notre campagne, on tape du poing pour redéfinir le contrat social autour du médicament. J’attends des responsables politiques qu’ils se mettent autour d’une table et se posent la question du prix de la vie », argumente Olivier Maguet. La réponse à ce casse-tête économique, moral et conceptuel serait donc entre les mains de nos dirigeants politiques ? Cette idée laisse Noël Renaudin perplexe :

« On ne peut espérer une baisse des prix que par une action sur la demande. La seule mesure que pourrait prendre un gouvernement c’est de dire ‘‘Halte au feu ! Ces médicaments sont objectivement trop chers, donc nous ne les prendrons pas.’’ Or, aucun gouvernement ne fera ça, attendant que le problème soit réglé par le suivant. Dans quelle position est aujourd’hui le gouvernement ? Il s’en fout. Pourquoi irait-il, sinon à vouloir perdre ses quelques derniers électeurs, dire ‘‘Écoutez, les gars, faut devenir raisonnable, on ne peut pas donner à tout le monde tout ce qui se présente en matière d’innovation médicale’’ ? Alors que, depuis des années, la doctrine, c’est que rien ne doit arrêter l’innovation médicale. Vous imaginez le tollé général, à quelques mois des élections ? »

Le système « le moins mauvais  »

Exit la solution politique et, dans l’attente du grand soir, restent des propositions plus pragmatiques.

Convaincre les laboratoires de cesser de racheter des brevets à prix d’or pour ensuite répercuter ces investissements délirants sur les prix des médicaments – mais avec quels arguments ?

Décider, comme l’a fait la Grande-Bretagne, de ne plus acheter des médicaments au-delà d’un certain prix – en prenant le risque de provoquer la colère légitime des assurés sociaux, qui cotisent durant des décennies pour leur santé et qui se retrouveraient spoliés ?

Ou bien continuer à négocier des remises globales, des remises d’efficience, des remboursements, des équilibrages officieux ?

Du bricolage, certes, mais un bricolage qui a permis jusqu’ici à tous les malades de cancer de recevoir les traitements – même les plus onéreux.

Finalement, le système français, où l’État fixe, après une négociation sur une base de marché, le prix des médicaments, s’avère peut-être ce que la démocratie est aux régimes politiques : le système le moins mauvais…

Céline Lis Raoux

INFO +

« Comment est fixé le prix des médicaments ? »
« En france, le débat autour du médicament est idéologique » », interview de Claude Le Pen, économiste français de la santé.


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