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Françoise Hardy : « Comment je vais ? Je ne sais pas… »

{{ config.mag.article.published }} 11 novembre 2018

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Photographie Philippe Matsas/Leemage

Françoise Hardy fait partie de ces personnalités pour qui le cancer, leur cancer, n’est pas tabou. C’est donc avec franchise qu’elle a évoqué pour Rose son intimité avec la maladie. Et ce qui l’anime désormais, au jour le jour…

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Six ans que l’on n’avait plus entendu la petite musique de Françoise Hardy. Et puis, en avril dernier, est sorti un nouvel album, Personne d’autre. Il y est question d’amour (impossible), du passé inextricablement mêlé au présent, de la mort aussi, en filigrane. Des « choses en rapport avec mon âge », résume la chanteuse de 74 ans. En 2015, le cancer, un lymphome diagnostiqué en 2004, a bien failli l’emporter. Malgré les épreuves, sa voix est restée intacte. Avec cette vibration élégante et mélancolique, directe et émouvante, qui n’appartient qu’à elle, et qui s’entend même quand on la lit. La preuve.

Après avoir frôlé la mort, en 2015, et affronté de sérieuses atteintes pulmonaires, qu’est-ce qui vous a donné l’envie et l’énergie de reprendre le chemin d’un studio d’enregistrement ?

Tout au long de 2016, j’ai eu des séquelles liées à des problèmes pulmonaires. Ma voix n’était plus là. Elle est plus ou moins revenue en 2017, et j’ai eu la chance que l’on m’envoie des mélodies. Comme je ne résiste pas à une belle mélodie, je me suis laissé tenter.

On a envie de vous demander comment vous allez, mais est-ce une question si simple ? Comment y répondez-vous aujourd’hui ?

Il y a quelques années, au vu de mon bilan sanguin, mon médecin ne trouvait rien d’alarmant à mon état. « Mais, je me sens très mal ! » lui avais-je rétorqué. Il m’a alors fait valoir qu’il y avait des gens qui se sentaient mal mais qui n’étaient pas aux portes de la mort, tandis que d’autres se sentaient bien alors qu’ils étaient aux portes de la mort. Désormais, quand on me demande comment je vais, je réponds que je ne sais pas.

En juin 2015, vous avez donné une interview à RTL depuis votre chambre d’hôpital, et vous sembliez très philosophe à l’idée que votre chimiothérapie pouvait ne pas fonctionner. D’où vous venait votre sérénité ?

Ce n’était qu’une apparence ! Vous n’imaginez pas comme j’étais angoissée à l’idée que ça ne fonctionne pas. Quand j’ai émergé de trois semaines de coma et qu’on m’a appris qu’on allait m’administrer douze chimios, j’ai demandé à mon médecin si, dans le cas où ça ne fonctionnerait pas, il pouvait m’aider à « partir ».

Vous étiez prête à franchir ce pas ?

Que ce soit pour les autres ou pour moi-même, j’appréhende au plus haut point les agonies où le corps souffre le martyre. Ça ne devrait pas exister. Depuis mon adolescence, j’ai toujours été partisane de l’euthanasie, toujours trouvé scandaleux que les êtres humains n’aient pas droit à ce à quoi les animaux domestiques ont droit.

À ce moment critique de votre vie, qu’est-ce qui a le plus compté pour vous ?

La morphine et le coma m’ont empêchée d’avoir conscience de ce qui m’arrivait durant mes trois premières semaines à l’hôpital. Thomas* venait chaque jour, il me tenait la main, me parlait, me lisait des textes de Brassens. Bien qu’il m’ait rapporté que j’ouvrais par moments les yeux et le regardais avec beaucoup d’amour, je n’en ai aucun souvenir. Il a énormément contribué à ma résurrection ! Au bout des trois semaines, c’est lui, et son père, qui ont pris la difficile décision qu’on m’administre les chimios qui, dans mon état d’extrême faiblesse, risquaient de me tuer.

D’avoir fréquenté de près la mort a-t-il changé quelque chose en vous ?

Quand j’ai su que j’avais failli mourir, je me suis demandé la raison de ce sursis. Depuis, quand je reçois des mails de personnes malades, ou de personnes ayant un proche malade, j’y suis aussi attentive que possible. Je prends le temps qu’il faut pour répondre de mon mieux. Un groupe de prière s’est mobilisé pour moi quand j’étais entre la vie et la mort. L’amie qui l’a créé m’y a par la suite intégrée d’office, et chaque fois qu’elle nous envoie une alerte à propos de quelqu’un qui va mal, je prie, à ma façon, pour la personne concernée. Plus généralement, je dirais que, par force, je vis davantage au jour le jour : la conscience de ne plus en avoir pour longtemps est omniprésente.

Quelle relation avez-vous avec votre médecin ?

J’ai besoin qu’il m’explique pourquoi je dois prendre tel et tel médicament, faire tel ou tel examen. Mais il ne s’en donne pas toujours – ou pas suffisamment – la peine. Cela dit, quand on prend conscience de tout le mal que les médecins se donnent, on éprouve une grande gratitude et une grande admiration pour eux.

L’après-traitement est une période difficile pour nombre de patients. Comment l’avez-vous vécue ?

Quand, au bout de presque cinq mois, j’ai enfin pu rentrer chez moi, bien que ne tenant pas sur mes jambes, j’étais euphorique. Hélas, très vite, j’ai eu des problèmes intestinaux incessants. Une débâcle due à une bactérie que l’on a mis quatre mois à dépister. À l’hôpital, je n’avais pas conscience d’être aux portes de la mort. Mais là, seule chez moi, je me suis réellement sentie mourir.

Ce lymphome reste une épée de Damoclès ? Comment parvenez-vous à « faire avec » ?

Comme tout le monde, le quotidien, les obligations professionnelles, les problèmes des proches, les problèmes dans le monde, mais aussi certains livres, certains films, certaines séries, certaines chansons occupent beaucoup mon esprit. Sauf bien sûr quand j’ai une alerte sur le plan santé.

Que faites-vous pour vous ménager et prendre soin de vous ?

Je refuse encore plus de propositions, je sors très peu, j’ai des horaires stricts… Je fais attention à mon alimentation, mais ça a toujours été le cas, finalement. Et depuis que j’ai appris, en 2004, que je n’avais pas beaucoup d’immunité, je ne donne plus la main, surtout en hiver et en automne, lors des épidémies annuelles de grippe.

Aujourd’hui, quel rapport entretenez-vous avec votre corps ?

Un rapport anxiogène, hélas… Tristement résigné aussi, car malgré les efforts de toute une vie pour qu’il reste en forme, le corps s’abîme inexorablement : il se déforme, enlaidit. Il est difficile de s’en dissocier, mais nous ne sommes pas notre corps. Il faut le considérer comme le véhicule qui nous a été donné pour notre incarnation sur cette planète. Nous l’habitons et nous le pilotons, c’est tout. Et quand il est trop usé pour continuer de fonctionner, il rend l’âme, tout simplement.

Le regard de ceux qui vous entourent, des gens que vous rencontrez a-t-il changé ? Est-ce que cela vous agace ? Vous touche ?

Ceux qui m’entourent sont habitués à me voir. Quant aux autres, je n’y fais pas très attention, et les personnes qui m’accostent dans la rue me disent des choses très gentilles, et même très flatteuses, qui me touchent beaucoup.

Cette maladie a-t-elle modifié l’ordre de vos priorités ?

Non, mes priorités ont toujours été mon fils, et mes quelques proches… Sur un autre plan, je ne remets pas au lendemain ce que je peux faire le jour même. Je m’efforce de m’acquitter au mieux de ce qui m’incombe – ce qui est plus facile à dire qu’à faire –, et c’est ma ligne de conduite depuis longtemps.

Propos recueillis par Sandrine Mouchet

* Son fils, le chanteur Thomas Dutronc.

Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 15, p. 36)


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Sandrine Mouchet

Journaliste, rédactrice en chef de Rose magazine et directrice de Rose Magazine Éditions

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