Si je vous dis années 90, vous penserez peut-être Nirvana, X-Files ou encore Doc Martens. Ce que vous ignorez peut-être c’est que cette décennie a également été marquée par une découverte qui transformera radicalement la prise en charge des cancers du poumon.
Tout commence à l’abri des regards, derrière les portes des laboratoires. À cette époque, les chercheurs observent que les cellules tumorales de la quasi-totalité (80% des cas) des patients touchés par un cancer du poumon<sup>1</sup> présentent à leur surface une protéine en surabondance : l’EGFR. Ils savent que cette protéine joue un rôle dans la division des cellules. Cette surexpression serait-elle responsable de l’emballement de la machinerie cellulaire et du développement du cancer ? Pour en avoir le coeur net, ils développent un traitement pour bloquer cette protéine : les inhibiteurs d’EGFR.
L’EGFR, une protéine clé
C’est un succès : ces thérapies ciblées parviennent à contenir le cancer. Mais le succès relatif. Seuls 10 à 15% des patients<sup>2</sup> répondent au traitement. Les chercheurs retournent donc à leur paillasse pour mieux cerner leur profil. Ils constatent qu’ils sont majoritairement non-fumeurs et que leur tumeur est de type adénocarcinome<sup>3</sup>. En 2004, une autre pièce du puzzle se met en place quand les chercheurs s’aperçoivent que ces patients “répondeurs” ont en commun une particularité génétique : les mutations de leur EGFR sont “activatrices”<sup>4</sup>. En d’autres termes, leur EGFR est constamment sur “on” et donne en permanence à la cellule le signal de proliférer.
T790M, une mutation qui fait de la résistance
Les cliniciens sont prêts à tester à nouveau le traitement. Cette fois, ils se focalisent uniquement sur les patients correspondant à leur profilage. Et, à un stade métastatique de la maladie. Ils ont vu juste : la tumeur régresse chez 60 à 70% des malades. Du jamais vu ! Les inhibiteurs de l’EGFR détrônent la chimiothérapie et deviennent le nouveau standard de traitement, en première ligne, des cancers du poumon métastatiques présentant une mutation de l’EGFR. Nous sommes en 2009.
Un problème persiste cependant. Le traitement ne fonctionne qu’un temps. Un an en moyenne. Puis le cancer reprend sa progression. À nouveau, les chercheurs enfilent leur blouse. Ils analysent au niveau moléculaire ces tumeurs qui résistent au traitement et mettent en évidence une autre mutation : la T790M. Un inhibiteur de l’EGFR nouvelle génération, ciblant cette mutation de résistance, est développé : l’osimertinib (Tagrisso®). Son efficacité est comparée à celle des inhibiteurs de première génération dans un essai clinique répondant au doux nom de FLAURA. Les résultats présentés en 2017 au congrès européen de cancérologie de l’ESMO feront date : l’osimertinib maintient plus longtemps le cancer sous contrôle, en moyenne près de 9 mois de plus, et améliore l’espérance de vie des patients. C’est une avancée sans précédent ! A peine 2 ans plus tard, l’osimertinib remplace ses prédécesseurs et devient la nouvelle référence.
L’osimertinib à tous les stades
Logiquement, l’osimertinib est ensuite éprouvé dans les cancers du poumon localisés. Après une chirurgie dans le cas des cancers opérables, ou, très récemment, après une radio-chimiothérapie dans le cas des cancers non-opérables. Là encore, le bénéfice est indéniable.
Aujourd’hui, l’osimertinib trouve donc sa place à tous les stades du cancer du poumon. À condition que la tumeur présente une altération de l’EGFR. C’est pourquoi elle sera dorénavant passée au crible chez tous les patients susceptibles de porter une mutation, à savoir : les personnes peu ou non-fumeuses, et/ou avec une tumeur de type adénocarcinome.
Et pour les autres ? L’immunothérapie est une option. La thérapie ciblée en est une autre. L’EGFR est loin d’être la seule protéine mutée dans le cancer du poumon. En 2025, 10 anomalies, pouvant être bloquées par 25 médicaments différents, ont été identifiées. Leur développement suivra, on l’espère, le chemin tracé par l’osimertinib.
Merci au Pr Besse, Oncologue médical spécialiste de la prise en charge des cancers thoraciques à Gustave Roussy, pour son aide dans l’écriture de cet article.