Quels sont les mécanismes d’action ?
Ils sont divers, mais on peut distinguer deux approches. L’une consiste à « cibler » la cellule cancéreuse, l’autre tout ce qui aide la cellule à survivre et assure son « ravitaillement ». Ainsi, on distingue des cibles cellulaires cancéreuses qui sont soit des récepteurs (à la surface ou non des cellules), soit des constituants de la cellule impliqués dans les mécanismes de prolifération ou de résistance aux défenses de l’organisme contre ces cellules. On distingue également des cibles de l’environnement des cellules cancéreuses, visant à modifier « l’écologie » de la tumeur et entraîner sa destruction en rendant le milieu où elle prolifère impropre à sa survie. Au gré des découvertes, de nouvelles cibles sont identifiées et des thérapies développées.
Quelles sont les thérapies ciblées utilisées actuellement ?
Il y a deux grandes familles de médicaments. La première famille regroupe des anticorps spécifiques, dits « anticorps monoclonaux », dirigés contre une « cible » qui peut être un récepteur à la surface des cellules. L’anticorps monoclonal va se fixer sur le récepteur et freiner la multiplication des cellules tumorales.
Ainsi, le trastuzumab est un anticorps monoclonal anti-récepteur HER2 utilisé avec une grande efficacité dans certaines formes de cancers du sein
La cible peut être aussi une molécule qui se fixe sur certains récepteurs, empêchant ainsi leur stimulation. Cette approche est utilisée pour « asphyxier » les tumeurs en empêchant la formation des vaisseaux tumoraux qui alimentent les cellules cancéreuses en oxygène, sucre… Le bevacizumab est un traitement de ce type dit « antiangiogénique » dont la cible est commune à différents cancers (colon, poumon, sein, ovaire ou rein) puisqu’il vise l’environnement tumoral.
La seconde famille est constituée de petites molécules « inhibitrices » qui entrent dans la cellule et agissent comme un « grain de sable » empêchant un rouage de tourner. Elles ont des propriétés inhibitrices vis-à-vis des « tyrosines kinases » (enzymes), ce qui a révolutionné la prise en charge de certains cancers. Ainsi, depuis la fin des années 1990, grâce à l’imatinib, de nombreux patients atteints de leucémie myéloïde peuvent vivre avec une maladie devenue chronique alors qu’auparavant cette affection était presque toujours mortelle.
Ces petites molécules peuvent également cibler d’autres récepteurs, expliquant que l’on ait aussi des médicaments anti-HER2 (lapatinib) ou antiangiogéniques qui ciblent les récepteurs sur les vaisseaux tumoraux.
Sont-elles moins toxiques que les chimiothérapies classiques ?
Elles exposent moins au risque de nausées, vomissements, alopécie, mais elles ne sont pas dénuées de toxicité. Si les cibles sont présentes dans la tumeur, elle peuvent également l’être dans des organes sains et ceci explique que les toxicités sont variables d’un médicament à l’autre (éruptions cutanées, diarrhées, effets secondaires cardiaques, neurologiques imposant une surveillance).
Les effets positifs sont bien supérieurs aux négatifs. Les traitements permettent de contrôler la maladie et améliorent durée et qualité de vie. On peut les administrer plus longtemps que les chimiothérapies et adapter leur rythme en fonction des toxicités.
A-t-on bien accès à ces thérapies ?
Oui lorsque les médicaments ont reçu une autorisation de mise sur le marché. Vingt-huit plateformes hospitalières de génétique moléculaire du cancer ont été créées par l’INCa pour réaliser des tests moléculaires et permettre aux malades d’accéder à un traitement personnalisé. De nombreuses thérapies ciblées sont en cours de développement clinique et des équipes proposent à leurs patients de participer à des essais pour bénéficier bien avant l’AMM [autorisation de mise sur le marché, NDLR] d’une véritable innovation thérapeutique.
Demain, existera-t-il une thérapie capable de cibler chaque tumeur ?
Les thérapies ciblées modifient nos concepts de traitement avec l’accès à une médecine personnalisée. La liste des médicaments ne cesse de s’accroître, avec une dizaine de molécules prescrites et des centaines en cours de développement, qui permettront de traiter un plus grand nombre de cancers. Dans quelques années, chaque patient aura son traitement « sur mesure », décidé en fonction de la carte d’identité génétique de sa tumeur. Ces traitements permettront à de plus en plus de personnes de mieux vivre avec la maladie et ouvriront, dans certains cas, de nouvelles perspectives de guérison.
Dr Joseph Gligorov, oncologue à l’Hôpital Tenon