En 2018, la France s’est positionnée en fer de lance de la protection de la biodiversité en devenant le premier pays à bannir les insecticides de la famille des néonicotinoïdes. Cette interdiction, instaurée par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages adoptée en 2016, visait notamment à protéger les insectes pollinisateurs, tels que les abeilles, dont la population avait fortement décliné à cause de ces pesticides. Des dérogations furent cependant accordées à partir de 2020 avant que l’interdiction ne redevienne totale et définitive en 2023.
La loi Duplomb, adoptée le 8 juillet dernier, prévoit une réintroduction dérogatoire de l’acétamipride*, un néonicotinoïde principalement utilisé pour protéger les cultures de betteraves sucrières et de noisettes des attaques de pucerons. Cette loi, “visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur”, répond à la préoccupation des professionnels de la filière qui déplorent une chute drastique de leur production depuis l’interdiction de ce pesticide et affirment ne disposer d’aucune alternative viable.
Cette décision a déclenché un vaste mouvement de contestation matérialisé par la pétition “Non à la loi Duplomb” qui réunit à ce jour plus de 2 millions de signatures. Du jamais vu.
Face à ces revirements, une question se pose : que sait-on réellement de l’impact des néonicotinoïdes sur la santé humaine ? Pour y voir plus clair, nous avons interrogé le Pr Xavier Coumoul, toxicologue à l’université Paris Cité et co-auteur du rapport de l’INSERM « Pesticides et effets sur la santé« , publié en 2021.
Pouvez-vous nous rappeler comment un pesticide est autorisé à entrer sur le marché européen ?
Dr Coumoul : Lorsqu’un industriel souhaite mettre un pesticide sur le marché, il dépose un dossier auprès de l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments, pour démontrer qu’il est sûr et efficace. Celui-ci contient des données toxicologiques et environnementales, notamment. L’EFSA va les évaluer et consulter les agences nationales compétentes – en France, il s’agit de l’Anses1. S’il manque de données, des tests complémentaires seront demandés. Sur la base de l’avis de l’EFSA, la Commission Européenne décidera d’approuver ou non le produit au niveau européen.
L’avis de l’EFSA n’est toutefois pas figé. Il peut être réévalué, par exemple si des études académiques apportent de nouvelles données qui remettent en cause la sécurité du produit.
C’est ce qui s’est passé en 2018 lorsque la France a interdit les néonicotinoïdes ?
Non, à l’époque nous avions très peu de données épidémiologiques sur les néonicotinoïdes. Cette décision a été prise pour des raisons politiques car ces produits tuaient les abeilles.
Aujourd’hui, la réautorisation de l’acétamipride est-elle liée au fait que nous disposons de nouvelles données rassurantes ?
Pas du tout. C’est même plutôt le contraire. Depuis, de nouvelles données montrent un lien entre l’exposition aux néonicotinoïdes et l’altération des fonctions cérébrales.
Une revue de la littérature a permis d’établir un lien entre l’exposition chronique aux néonicotinoides, dont l’acétamipride, et le risque d’anencéphalie (défaut de développement du cerveau chez l’embryon, ndlr) et de troubles du spectre autistique.
D’autres études, réalisées in vitro ou chez les souris, ont mis en évidence des mécanismes de neurotoxicité.
Un lien a-t-il été établi avec le cancer ?
Tout à fait. Une étude récente menée en Chine a montré une corrélation entre la présence dans l’urine du métabolite de l’acétamipride et un risque accru de cancer du foie.
Ces résultats ne justifient pourtant pas l’interdiction de ce néonicotinoïde…
Non car il s’agit d’études isolées. Par ailleurs, elles établissent uniquement des corrélations pour les études épidémiologiques, et non un lien de causalité. Il s’agit toutefois de signaux d’alerte qu’il ne faut pas ignorer.
L’EFSA reconnaît d’ailleurs que l’acétamipride peut “affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire“. C’est pour cette raison qu’elle a recommandé d’abaisser les seuils d’exposition à ce pesticide.
Aurait-il fallu appliquer le principe de précaution selon vous ?
Oui, avant de réintroduire une molécule, qui a été précédemment interdite, il faut lever tout doute. Ce n’est pas le cas avec l’acétamipride, notamment parce que nous manquons de données. Il faudrait de nouveaux tests sur sa toxicité, menés par des organismes indépendants. Il est également indispensable d’étudier son impact à long terme, notamment sur le développement de pathologies cancéreuses comme le cancer du foie.
À LIRE AUSSI : Cancers évitables : stop à la culpabilisation