Ses lunettes rose en forme de coeur font partie d’elle. C’est son bonheur de vivre, énorme et insatiable, que Susie Morgenstern porte au bout de son nez et qui transpire à chaque ligne de son autobiographie, Mes 18 exils paru avant l’été. À 76 ans, cette reine de la littérature jeunesse, américaine pure sucre devenue française de cœur par amour, à 20 ans, garde une fraîcheur de gamine et un formidable appétit de vivre, malgré un cancer des ovaires diagnostiqué en 2016. Son « cancer rose » comme elle dit, contre lequel elle continue de lutter vaillamment grâce à une thérapie orale, et malicieusement grâce à l’écriture.
La maladie, elle lui avait déjà consacré un roman en 2018, « Accroche toi » (éditions Saltimbanque), destiné à son public fétiche, fidèle et favori, les enfants. Elle y racontait à travers les yeux d’une petite fille le cancer de sa grand-mère. Aujourd’hui, elle y revient sans détour, mais non sans humour, dans un chapitre de sa vie. C’est son exil numéro 15.
Depuis cinq ans, vous publiez énormément, deux à quatre livres par an. On ne vous arrête plus ! Est-ce lié à la survenue de votre cancer ?
C’est une période très fertile, c’est vrai. Je ne sais pas si c’est dû au cancer mais c’est un fait. Et ces deux dernières années, les différents confinements y ont sans doute été pour quelque chose. Depuis quarante ans, j’écris mais je cours aussi beaucoup, partout, pour présenter et parler de mes ouvrages dans les salons du livre, les festivals, les écoles, les bibliothèques… Avec le Covid, tout ça s’est arrêté. Plus besoin de courir ! Quelle plénitude d’être chez moi, et ne plus rien faire d’autre qu’écrire !
Comment écrivez-vous ?
Pendant mes traitements, j’ai déménagé mon bureau du 1er étage au rez-de-chaussée, dans la grande pièce qui fait office de cuisine-salle-à-manger-salon. Depuis, dans le petit coin où je travaille tous les jours de 7h au 19h, je vois le jardin et la mer [elle vit à Nice, NDLR]. Et quand j’écris une phrase que j’aime, je vais chercher ma récompense : un petit morceau de gingembre confit. Du sucre, du sucre, sucre, je suis une malade de sucre ! C’est terrible, j’en ai tout le temps envie !
À quel âge avez-vous commencé à écrire ?
Je crois que j’avais déjà commencé dans le ventre de ma mère ! Toute petite, avant même de savoir écrire, j’adorais pousser un stylo sur une feuille, je faisais des boucles à n’en plus finir. Mais mes premières histoires, mes premiers poèmes, je les ai écrits à 7 ans. À l’école, on m’appelait Susie Shakespeare…
Le cancer est maintenant entré dans vos livres. Vous en parlez avec humour, une forme de légèreté, c’est important ?
L’humour donne la distance et écrire rend tout supportable. Quand on m’a annoncé mon cancer en 2016 – juste après avoir reçu la légion d’honneur ! – j’ai d’abord pleuré car on me donnait peu de chance de survie. J’ai alors décidé de donner tous mes manuscrits à la bibliothèque municipale de Nice et j’ai vu un notaire pour régler toutes les démarches d’héritage. À partir de là, je me suis sentie sereine. Ma mère disait toujours « tout est une question d’attitude ». J’ai donc pris les choses comme une aventure, sans dramatiser, en faisant une totale confiance à l’équipe qui me soignait à l’hôpital Lacassagne. De chimio en chimio, les marqueurs baissaient de moitié, tout le monde à l’hôpital jubilait de voir mes résultats ! On m’a toujours dit que j’étais courageuse, que j’étais la patiente idéale, mais pas du tout, on s’est si bien occupé de moi ! Toute une équipe se battait pour moi. Je n’ai rien eu à faire qu’à me laisser faire !
Aujourd’hui vous en êtes où ?
Je suis une miraculée mais je ne suis pas guérie. Depuis trois ans, je fais partie d’une étude clinique pour éviter une récidive. Je suis bêtement le protocole qui consiste à prendre des médicaments tous les jours, sans savoir si c’est le placebo. Je vois en tout cas mon oncologue toutes les trois semaines, et j’ai un scanner tous les deux mois.
Vous le vivez comment ?
C’est contraignant, il faut que j’organise mes rendez-vous, mes déplacements en fonction de ça. Je suis un peu inquiète aussi, mais en même temps je me sens très protégée. En Amérique, je serai morte déjà. Je n’aurais jamais eu les moyens de payer mes traitements ! Ici, où j’ai travaillé dur, où j’ai enseigné pendant trente ans à l’université, on n’abandonne pas les travailleurs qui perdent la santé. C’est une chance incroyable. Je ressens une très grande gratitude envers la France.
Comment votre compagnon, Georges1, vit la situation ?
Il a été très présent, et il reste très présent. Sa femme est morte d’un cancer du sein. Moi, comme je l’écris dans Mes 18 exils1, je me croyais vaccinée après avoir accompagné mon mari atteint d’un cancer du côlon pendant cinq ans. D’ailleurs quand j’ai rencontré Georges en 2004, dix ans après le décès de Jacques, je me souviens lui avoir dit : « si tu tombes malade, je te dis tout de suite tchao ! ». Il m’avait répondu : « qui te dis que c’est moi qui vais tomber malade ? » ! (Elle rit). Georges a 14 ans de plus que moi, on devait se fiancer l’an dernier pour ses 90 ans, mais c’était le confinement…
Et vous avez abandonné cette idée ?
Non, mais maintenant il propose qu’on se fiance pour ses 100 ans !
Sandrine Mouchet
1. Georges Rosenfeld, avec lequel elle a écrit Fleurs tardives, paru chez Bayard en 2018, où ils racontent l’aventure détonante de leur histoire d’amour.