Le 11 décembre 2024, le tribunal administratif de Lyon a reconnu la responsabilité de l’Institut de Cancérologie Lucien Neuwirth (ICLN) et du Centre Hospitalier Universitaire de Saint-Étienne dans le décès de Roseline Rivoire. Une décision que son mari, Alain, et ses enfants attendaient depuis 8 ans.
Tout commence en 2016. Roseline est suivie l’ICLN pour une récidive de cancer du sein devenu métastatique. Elle reçoit une première chimiothérapie en mars qui fait régresser ses métastases au foie. Mais ce traitement lui provoquant des neuropathies, son oncologue décide de changer son protocole et lui prescrit le 3 septembre une chimiothérapie orale, la capécitabine (ou Xeloda©, NDLR) . « Rapidement, elle a commencé à développer des rougeurs. Comme nous n’avons pas pu obtenir de rendez-vous avec son oncologue, nous l’avons amenée aux urgences mais elle a y été refusée. »
La descente aux enfers
Durant le week-end, l’état de Roseline s’aggrave. La peau de ses jambes commence à se nécroser, déglutir lui cause des douleurs insupportables. « Le lundi suivant, nous avons enfin réussi à contacter son oncologue mais il a refusé de la voir car nous avions un rendez-vous avec lui 9 jours plus tard. Il nous a juste conseillé d’arrêter le traitement » se souvient Alain.
Mais le mal est fait. Affaiblie, Roseline chute et se fracture une jambe. Hospitalisée en urgence au CHU de Saint-Etienne le 14 septembre, elle est placée en réanimation. « Il a fallu que je me fâche sévèrement pour que l’oncologue daigne venir voir sa patiente », précise Mr Rivoire, révolté. Malgré l’état alarmant de Roseline, le médecin se veut rassurant : « Il nous a dit que ce n’était rien, que ça allait passer » précise Alain.
L’enquête de la famille
Devant les souffrances de sa mère, Audrey, sa fille, ne peut pas se contenter des paroles de l’oncologue. Elle commence à mener des recherches et tombe sur un cas similaire au Canada. Elle découvre qu’un faible pourcentage de patients présentent un déficit d’une enzyme, la DPD, qui les empêche d’éliminer les chimiothérapies à base de fluoropyrimidines, comme le 5-FU ou la capécitabine1. Le traitement s’accumule alors dans leur organisme et provoque des toxicités, parfois mortelles. Un simple test sanguin permet de déterminer si cette enzyme est défaillante et s’il faut adapter la dose de chimiothérapie en conséquence, voire opter pour un autre traitement. Test que l’oncologue de Mme Rivoire n’a pas réalisé.
À LIRE AUSSI : Le point sur les toxicités au 5-FU
Un personnel soignant sourd
« Nous avons faire part de nos découvertes au personnel soignant mais ils n’ont rien voulu savoir » se rappelle Alain. Pendant ce temps, les organes de Roseline lâchent les uns après les autres. Elle décède le 22 septembre 2016 à l’âge de 62 ans, 9 jours seulement après son hospitalisation.

Le lendemain, la famille reçoit un courrier manuscrit de l’oncologue dans lequel il reconnaît sa responsabilité : « Votre épouse est décédée de façon très brutale et inattendue du fait d’une intolérance majeure aux médicaments que je lui ai prescrit. Je n’ai donc pas eu le temps de vous prévenir et de vous informer ». Avant d’ajouter, comme pour minimiser sa faute : « Cette complication dramatique lui aura peut-être évité une agonie longue et douloureuse ».
« Sa mort a été rapide, c’est vrai, mais elle a été atroce. Mais ça, son oncologue n’a pas pu en être témoin. Il n’est pas venu à son chevet les derniers jours de son calvaire ! » lâche Alain, amère.
La famille enquête
C’est plus qu’Alain ne peut en supporter. « Ma femme allait très bien avant de prendre ce médicament et son cancer était sous contrôle !” La famille demande à consulter le dossier médical de Roseline. « On a découvert que la recherche d’un déficit en DPD avait bien été faite, mais post-mortem, une demi-heure après son décès ! » s’indigne Mr Rivoire. Les résultats confirment que Roseline présentait bien un déficit de l’enzyme qui imposait de réduire la dose de capécitabine.
Une procédure éprouvante
La famille décide de déposer une requête devant le tribunal administratif de Lyon contre le CHU de Saint Etienne et l’ICLN. « Nous avons notamment demandé à ce qu’ils soient reconnus coupables d’un manquement à l’obligation d’information : Mme Rivoire n’a jamais été informée du risque de toxicités graves lié à la prise de capécitabine, explique Maître Sophie Jouslin de Noray du cabinet Dante, qui a représenté la famille dans cette procédure. Nous avons également soulevé la faute de négligence car la prescription de capécitabine n’aurait pas dû être faite en l’absence des résultats de la recherche d’un déficit en DPD. Enfin, nous avons soutenu que le CHU de Saint-Etienne a commis plusieurs fautes dans la prise en charge de Mme Rivoire qui ont conduit à son décès. »
Commence alors une procédure longue et éprouvante pour la famille. « La partie adverse a tout osé, s’indigne Mr Rivoire. Elle a considéré qu’elle serait décédée de toute façon, que ce n’était pas la peine de la soigner. Pour eux, les cancéreux ne sont que des morts en sursis, ce ne sont plus des êtres humains. Ça leur servirait de leçon d’avoir un cancer à ces gens-là ! »
Une question de date
Les parties adverses jouent aussi sur la chronologie des événements, comme on peut le lire dans le compte-rendu de la décision : « aucune obligation d’information ne s’imposait à la date des faits à l’ICLN concernant la contre-indication de la capécitabine en cas de déficit total ou partiel en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), dès lors que cette toxicité de la capécitabine ne faisait pas l’objet de recommandations. »
La recherche de déficit en DPD n’a en effet été recommandée par les autorités de santé françaises que 2 ans plus tard, en février 2018, sous la pression d’AV5FU2, association crée par la famille Rivoire en 2017, et l’aide de RoseUp (elles sont devenues obligatoires le 29 avril 2019). « Mais il existait déjà de nombreuses publications scientifiques qui démontraient la toxicité du 5-FU et son lien avec la déficience en DPD, précise Maître Jouslin de Noray. En avril 2016, donc quelques mois avant les faits, des sociétés savantes avaient même publié des recommandations concernant les tests à réaliser. Recommandations sur lesquelles se sont basées les autorités de santé en 2018. L’oncologue de Mme Rivoire ne pouvait pas les ignorer. Et s’il n’avait pas une obligation légale de les appliquer, il l’avait au sens moral. »
À LIRE AUSSI : 5-FU : le long parcours avant la recommandation des tests
Une décision qui fera jurisprudence
Une argumentation qui a convaincu le tribunal : l’ICLN et le CHU ont été reconnus coupables, en particulier de négligence dans la gestion de la chimiothérapie et le suivi des symptômes de toxicité, et condamnés à verser des indemnités à la famille Rivoire. « Je ne préfère pas donner les montants de ces indemnités car elles sont insultantes, explique Alain. Et puis ce n’est pas pour ça qu’on se bat. On le fait pour rendre justice à toutes les personnes décédées à cause du 5-FU, sans forcément le savoir, et dont on ne parle jamais. On veut que cette décision casse cette omerta et que les oncologues réalisent qu’ils ne peuvent pas agir en toute impunité. Un garagiste travaillerait avec le même sérieux et causerait des morts sur la route, il serait trainé devant les tribunaux. Ce doit être la même chose pour les oncologues. Ils manipulent des molécules très dangereuses, il est normal qu’ils rendent également des comptes ! »
« C’est une décision qui fera date, confirme Maître Jouslin de Noray. Elle marque noir sur blanc la responsabilité des hôpitaux et doit conforter les autres victimes ou familles de victimes à agir. » Une demi-douzaine de plaintes sont actuellement (en 2025) en cours d’instruction. « Toutefois, nous allons faire appel et demander une réévaluation des préjudices, précise l’avocate. » « Nous avons aussi déposé une plainte au pénal, complète Alain Rivoire. Si nécessaire, nous saisirons le Conseil d’Etat et la Cour Européenne des droits de l’Homme. Je ne vais rien lâcher ! »

1. Les chimiothérapies à base de fluoropyrimidines sont le 5-fluorouracile (5-FU) et la capécitabine (Xéloda®). Elles sont aussi présentes dans des protocoles comprenant d’autres chimiothérapies, tels que FOLXOX, FOLFIRI, XELOX, XELIRI, ECF, ELF, DCF, EOX (voir la Fiche d’information de l’ANSM)
2. Association francophone de défense des victimes du 5-FU et analogues présentant un déficit en DPD