Des murs pouvant atteindre jusqu’à 20 mètres de haut, constellés de bosses et de protubérances rondes, anguleuses, multicolores… Entrer pour la première fois dans une salle d’escalade suscite toujours un étonnement, parfois un vertige. Dans ce décor totalement artificiel se côtoient des gens de tous horizons, dont on remarque les… pieds : nus ou glissés dans de drôles de chaussons. L’ambiance ? Elle est à la fois cool et concentrée. Et bienveillante. L’entraide est ici une valeur fondamentale.
Cet espace, hors du temps et du monde, est le terrain de jeu de Perrine Merle. Monitrice d’escalade, elle anime de la fin de septembre à la fin de juin des cours adaptés pour femmes sous traitement ou en fin de traitement du cancer du sein. C’est grâce à la collaboration avec l’association Des sommets pour rebondir que ces séances peuvent avoir lieu dans différentes salles de Grenoble et de ses environs, l’hiver, et en extérieur, au printemps.
Mais pas besoin d’adhérer à l’association pour découvrir ces cours, ils sont ouverts à toutes. Seul prérequis : « avoir un certificat médical autorisant la pratique de l’escalade », précise Perrine. Dans le cadre du sport sur ordonnance, certaines bénéficient même d’une prise en charge par leur mutuelle.
Y aller étape par étape
C’est à Grenoble que la première session de la saison 2021-2022 commence, en ce début d’automne. Elle rassemble une dizaine de participantes âgées de 40 à 62 ans. Fabienne est la doyenne du jour, et une grimpeuse confirmée. Elle avait dû arrêter sa pratique de l’escalade pour soigner son cancer. Sa radiothérapie venant de s’achever, elle a décidé de s’y remettre. Objectif : retrouver ses sensations, bien sûr, mais aussi pouvoir partager un vécu. « Quand on te diagnostique un cancer, tu bascules dans un autre monde. Grâce à ce genre de collectif, tu rencontres des personnes qui ont traversé des moments difficiles, comme toi, mais qui continuent de rigoler et d’être gaies. Ça fait du bien ! »
Comme elle, d’autres filles qui grimpaient déjà avant la maladie sont venues chercher une ambiance, une communauté de personnes qui se comprennent sans se connaître. Des personnes telle Émilie, 40 ans, qui a découvert l’escalade grâce au cancer. « Et, depuis son premier essai, elle n’a loupé aucune séance », s’amuse Perrine, qui encadre ce groupe depuis 2019.
À Gap, Valérie Chauvet, monitrice d’escalade et psychomotricienne, propose également des cours d’escalade adaptés depuis près de cinq ans. Et, depuis peu, elle accepte aussi des patients atteints de maladies chroniques. « C’est très riche d’avoir des cordées polypathologiques. Finalement, même s’ils ne sont pas confrontés aux mêmes maladies, les patients vivent souvent la même chose. »
ENCORE PLUS À BLOC
De nombreuses structures proposent de l’escalade de bloc. Là, les murs font moins de cinq mètres de haut, et à leur pied se trouvent de gros tapis prêts à amortir les éventuelles chutes de celles qui voudraient pratiquer sans baudrier ni corde. Plus demandeuse en force, surtout au niveau des bras et des jambes, et en énergie, cette discipline est plutôt conseillée à celles qui, avant la maladie, étaient déjà expérimentées. Être accompagnée d’un moniteur est aussi recommandé.
De même qu’à Grenoble, les sessions débutent par des échauffements, composés de trois parties : réveil des muscles, puis des articulations, et exercices cardio. Auprès des femmes opérées du ganglion sentinelle ou qui sont susceptibles d’avoir une fragilité ou des douleurs au niveau du bras, Perrine Merle insiste sur les étirements : « Pour ces femmes en particulier, il est essentiel de s’étirer avant, pendant et après la séance. »
Avant de se lancer, on révise les règles de base de l’assurage. En escalade adaptée, on grimpe toujours encordée, et au bout de cette ligne de vie il y a la partenaire restée en bas. Si on glisse ou chute, elle vous retient. C’est un geste technique qu’il faut intégrer et qui est au cœur des premières séances. L’occasion de se familiariser aussi avec des mots importants, comme descendeur, corde, mousqueton, baudrier, nœud de huit… Une fois cette étape bien assimilée, il va falloir monter !
Dans un premier temps, on va emprunter évidemment des voies faciles. Leur niveau est indiqué par une couleur : jaune, rose, bleu, orange, vert, blanc, mauve… c’est un festival ! « On grimpe d’abord sur quelques mètres seulement pour prendre confiance dans les prises, puis de plus en plus haut jusqu’à arriver au sommet, détaille Perrine Merle. Cela se fait par étapes et en fonction des aptitudes des personnes. Chacune va à son rythme. »
Une fois au point d’arrivée, il faut redescendre ! Et là, même technique : on y va par étapes. À l’approche de la terre ferme, les filles apprennent à « s’asseoir » dans le baudrier et à faire confiance à leur assureuse, au pied du mur de grimpe.
« S’éloigner du sol n’est pas naturel, c’est un petit combat contre son esprit primaire » – Perrine
L’art d’être dans l’instant présent
Sous ses airs cool, l’escalade demande quand même une certaine dose d’engagement. « Parfois, je me dis : “Quelle idée d’être là !” Puis je prends sur moi, j’arrête de réfléchir et j’avance », analyse Cécile, 46 ans. Perrine Merle ajoute : « En escalade, tu as vite l’impression d’être en danger. S’éloigner du sol n’est pas naturel, et il faut lutter contre son esprit primaire. À chaque fois, c’est un petit combat, dont tu sors gagnante quand tu arrives au sommet. Cela donne forcément confiance en soi. »
Seule au pied du mur, il faut d’abord prendre le temps de la réflexion, anticiper ses mouvements et peser ses choix. Puis se lancer et ne pas hésiter à faire confiance à son corps, oser avancer le bassin contre la paroi, jouer avec les angles des articulations, répartir ses appuis et pousser sur ses jambes pour avancer. Tout le corps est mobilisé, mais les membres inférieurs jouent un rôle crucial. « C’est l’aspect sur lequel on insiste quand on a des filles opérées au niveau des bras, note Perrine. On met bien l’accent sur la pose des pieds, on leur apprend aussi la position de repos, qui permet de soulager les bras. »
« Tout le monde finit par y arriver, sourit Valérie Chauvet. Au début, les filles n’osent pas monter à plus de trois mètres. À la fin, elles participent aux balançoires géantes ! » Dans ce sport, difficile de reculer, les solutions sont devant soi et souvent à portée de main ou de pied. Sensations garanties ! Mais l’escalade développe aussi l’art d’être dans l’instant présent, connecté à soi-même. C’est ainsi qu’on arrive au bout d’une voie.
Sur le mur, les filles, telles des araignées suspendues à un fil, enchaînent les mouvements en suivant les consignes de Perrine Merle. L’approche est ludique, pour gagner plus facilement en confiance et en habileté. De retour sur la terre ferme, toutes jubilent, appréciant leur petite victoire sur elles-mêmes. Ce sport à la fois physique et cérébral multiplie les occasions de travailler la coordination et la proprioception sans même y penser, et permet de s’approprier un corps que la maladie a rendu souvent différent.
« Rapidement, les filles sont capables de distinguer les douleurs “normales” de celles qui sont liées à leurs cicatrices, indique Valérie Chauvet. Si l’on sait s’écouter, l’escalade peut-être un vrai plus au niveau articulaire. Le fait d’être suspendu fait travailler naturellement la mobilité et les étirements. »
À travers leur enseignement, nos deux monitrices poursuivent un seul but : rendre les participantes autonomes dans leur pratique. « Les voir acheter leur propre matériel ou planifier des sorties en famille est la plus belle des récompenses pour moi », se félicite Perrine. Alors, prête à faire le mur ?
INFO +
Envie de vous lancer ?
• Gap (Hautes-Alpes) :
Association En corps des ailes
Contact : Valérie Chauvet, 06 78 27 06 92
• Grenoble (Isère) :
Groupe Grimper pour rebondir
Contact : Perrine Merle, 06 77 00 61 38 ; perrinemerle.escalade@gmail.com
• Brest (Finistère) :
Bloc the Roof, cette salle ouverte à tous propose depuis 2020 un cours hebdomadaire encadré par une kinésithérapeute.
Contact : 09 82 25 18 87 ; brest.theroof.fr
• Pour trouver un club proposant des cours d’escalade adaptés près de chez vous, consultez le site de la FFME (Fédération française de la montagneet de l’escalade) : ffme.fr
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 21, p. 134)