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L’enquête RoseUp sur le 5FU

{{ config.mag.article.published }} 1 février 2019

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©FranckDUNOUAU

Il en est d’invoquer sans cesse des « scandales sanitaires », comme de crier, chaque jour, au loup : plus personne n’entend. L’emphase épuise le propos. Et nous aveugle sur les véritables enjeux.

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Le 5-FU est tout sauf un « scandale sanitaire ». Ici, aucune volonté de cacher la nocivité d’un médicament, d’écouler en toute connaissance de cause des stocks défaillants ou de masquer des décès. Juste une incroyable force d’inertie. Ce qui est, finalement, pire.
Des cancérologues qui ne suivent pas les préconisations, n’informent pas les patients des risques d’un traitement (ce qui constitue, pourtant, une obligation légale) ou qui, alertés par des patients éclairés des risques d’une molécule, les jugent à ce point illégitimes qu’ils n’interrogent en rien leur pratique ni n’adaptent leur traitement. Et qui, même après la mort de leurs patients, ne changent pas leur protocole. Et, pour faire bonne mesure, ne déclarent pas non plus les décès aux autorités. Avec, une fois de plus, en toile de fond, la profonde défaillance de la pharmacovigilance dans notre pays.

Un scandale moral

L’affaire du 5-FU n’est pas un scandale sanitaire (comme certains journaux le titrent, pavloviens) mais un scandale moral. Une illustration tristement habituelle de l’absence de considération portée au patient, à sa capacité de s’informer, de comprendre les enjeux, d’être acteur de sa santé. Une lumière crue jetée sur les dysfonctionnements du contrat éthique du soin.

L’affaire, d’abord. Le 5-FU est une des molécules de chimiothérapie les plus prescrites : environ 80.000 personnes la reçoivent chaque année en traitement curatif ou adjuvant. Cette molécule peut provoquer de graves toxicités dues, chez certains patients (1/5 environ) à la défaillance partielle ou totale de l’enzyme DPD (dihydropyrimidine déshydrogénase) qui, en temps normal, l’élimine au niveau du foie : le 5FU, que le foie ne « nettoie » pas, s’accumule dans l’organisme jusqu’à devenir toxique entraînant des effets secondaires plus ou moins graves. Pour près d’un patient sur cent, en déficience totale, la toxicité est fatale. La prescription de 5-FU signe leur arrêt de mort.

Encore trop peu de tests menés

Ce risque est documenté depuis plus de 40 ans : dès 1985, le New England Journal of Médecine publiait une étude sur la toxicité du 5F-U.  Des tests existent pour vérifier, avant le traitement, que le patient ne présente pas de déficit en DPD : certains hôpitaux comme celui de Marseille, les réalisent en routine depuis 10 ans et n’ont, durant cette période, pas perdu de patient à cause de ces toxicités.

Pourtant, la grande majorité des hôpitaux ne testent, aujourd’hui encore, pas les patients. Y compris, après le 18 mars 2013, date à laquelle le Dr Boisdron-Celle, pharmacien biologiste à l’ICO[1] d’Angers alertait le comité de pharmacovigilance de l’ANSM (Agence nationale de la Santé et du Médicament) des dangers mortels du 5-FU.  Présentation suivie d’un compte rendu du comité de pharmacovigilance où l’agence annonçait : “Une communication sur le risque lié au déficit en DPD chez les patients (…) et sur l’existence de tests de dépistage est nécessaire.” Y compris après 2016, année où ces tests sont inscrits à la liste complémentaire d’actes du RIHN (« Référentiel des tests innovants hors nomenclature ») permettant en partie leur remboursement aux hôpitaux.  Y compris après avril 2016, date à laquelle le groupe Unicancer (fédération des centres de lutte contre le cancer) et les sociétés savantes préconisaient d’« effectuer un dépistage du déficit en DPD avant la mise en route d’un traitement à base de 5-FU ». Y compris après 2017, année où l’EMA (l’Agence Européenne de Médecine) s’est prononcée en faveur de l’inscription de l’intérêt du test de dépistage dans la notice du 5FU. Pourquoi tant de publications, de recommandations, un remboursement des actes et si peu d’effets ? Aucune explication rationnelle. Mais un chiffre, effarant. Selon le rapport (décembre 2018) de la HAS et de l’INCa « Recherche de déficit en DPD », il n’y a eu, en France, durant l’année 2017 qu’environ 8000 tests[2] de réalisés.  Soit, au moins 72.000 patients exposés à un risque mortel sans aucun filet.

Le combat d’un homme

Si aujourd’hui les lignes bougent, c’est grâce à l’inlassable combat d’un homme, Alain Rivoire.  Son épouse, Roselyne, est morte en 2016, après un véritable martyre, à cause d’une intolérance au 5FU. Pourtant, Alain Rivoire, ingénieur en chimie, avait, dès les premières réactions de sa femme, enquêté sur la molécule, trouvé des informations et interpellé le médecin sur la possible cause des douleurs (lire notre article). Sans effet. Le médecin a méprisé les informations du néophyte. Et Roselyne Rivoire décède quelques jours plus tard.

Bouleversé et révolté, le retraité du CNRS remue ciel et terre pour pousser les pouvoirs publics à statuer sur la nécessité d’un test de dépistage DPD avant toute chimiothérapie au 5-FU.  Il commence en juin 2017 par créer l’Association de défense des victimes du 5-FU et « décroche » une première double page dans son quotidien régional, Le Progrès, en juillet, puis dans Rose Magazine en septembre; il écrit à la ministre de la santé, puis au porte-parole du gouvernement,  demande à son député de poser une question publique au gouvernement (novembre 2017), saisit le Défenseur des droits en décembre… Fin décembre 2017, alertée, l’ANSM propose à Alain Rivoire une réunion à la suite de laquelle l’agence s’engage « à mener une première action d’information auprès des sociétés savantes en 2018 ». Soit cinq ans après l’alerte, pourtant entendue et notifiée sur le compte rendu, du Dr Boisdron-Celle. Commentaire, un rien amer, du lanceur d’alerte : « Ils ont bougé parce qu’ils ont bien senti que ça allait leur péter à la gueule ». Les médias nationaux relaient, au début de l’année 2018 « l’affaire du 5-FU » : Le Figaro, Prescrire, le Quotidien du Médecin ou Paris Match s’emparent du sujet. Enfin, en décembre 2018, l’INCa et la HAS publient un rapport recommandant officiellement le test de dépistage avant toute chimiothérapie au 5FU.

Soit près de six ans après que le Dr Boisdron-Celle ait alerté l’ANSM sur les risques mortels que la chimio faisait peser sur les patients. Six ans. Combien de morts aurait-on pu éviter en six ans ?

Une recommandation encore trop peu suivie

On pouvait espérer qu’une telle univocité de préconisations (INCa, ANSM, HAS) finisse de convaincre les médecins de la nécessité de ce test. Hélas. Le magazine spécialisé lecancer.fr titrait dernièrement sa brève dédiée au 5-FU : « Les préconisations ne sont pas des obligations ». Voilà qui ne va pas encourager les médecins à demander le test. Sur le terrain, de nombreux cancérologues continuent d’ignorer que les deux tests sont en partie remboursés (avec un reste à charge pour l’hôpital de 22 euros pour le phénotypage). Certains expliquent même connaître les risques inhérents au 5-FU mais ne parlent même pas de ce test aux patients pour « respecter le principe d’égalité ». Drôle de vision de l’égalité qui fait peser le même risque mortel sur tous.  S’il s’agissait d’un de leurs proches, ces mêmes médecins feraient-ils l’économie du test ?

Quant aux hôpitaux, nombreux, qui ne proposaient pas le test en routine, nous en avons interrogé un certain nombre sur les raisons de ce manquement à la sécurité de leurs patients. Leur réponse – pour tous, la même – était : « Ces actes ne sont ni obligatoires, ni remboursés ». Le phénotypage laisse à la charge des hôpitaux 22 euros. La moitié d’un bon de transport[3] que ces mêmes hôpitaux n’hésitent pas à distribuer. Car remboursés par la CPAM. L’équivalent d’un demi trajet de taxi pour garantir la sécurité des patients et sauver des vies. Décidément, « l’affaire du 5-FU » est bien un scandale moral.

POUR EN SAVOIR PLUS : Retrouvez notre dossier complet sur les chimiothérapies à base de 5-FU ou de capécitabine ici.

Émilie Groyer et Céline Lis-Raoux

1. Institut de Cancérologie de l’Ouest
2. On ne peut pas savoir si la même personne a bénéficié des deux tests (génotypage ou phénotypage)
3. Coût moyen du bon de transport en France en 2017 : 51 euros


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