Pour soigner efficacement un cancer métastatique, il faut connaître son origine : savoir dans quel organe la première tumeur est apparue. Dans 2 à 3 % des cas, cela s’avère impossible avec les examens actuels. « Les résultats de la biopsie indiquent souvent qu’il s’agit d’un cancer peu différencié, c’est-à-dire que la tumeur ne ressemble à rien de ce que l’on connait », explique le Dr Sarah Watson, oncologue médicale à l’institut Curie.
Chaque année, 7 000 patients se retrouvent dans cette situation en France. « Leur survie est de 10 à 12 mois en moyenne car ces cancers sont particulièrement agressifs et de mauvais diagnostic» précise l’oncologue. Face à ces cancers d’origine inconnue, les médecins n’ont souvent qu’une solution : recourir à une chimiothérapie “à large spectre”, non spécifique et donc moins efficace qu’un traitement adapté.
Tenter une nouvelle technique
C’est le traitement que Valentin* aurait dû recevoir. En septembre 2019, ce jeune homme arrive à l’institut Curie dans un état critique, avec une lésion importante au bassin et des métastases aux os. « C’était un jeune de 30 ans, il fallait qu’on fasse le maximum » se rappelle le Dr Watson. Les médecins suspectent un sarcome, mais le résultat de la biopsie ne permet pas de le confirmer. La chercheuse a alors l’idée de recourir au séquençage ARN (RNAseq), qu’elle utilise depuis 2015 pour identifier les sarcomes, des cancers difficiles à caractériser.
Cette technique de biologie moléculaire permet de déterminer le profil d’expression des tumeurs. « Les gènes exprimés dans une cellule dépendent du tissu ou de l’organe dans lequel elle se trouve », explique le Dr Watson. Ainsi, une cellule du foie n’exprimera pas les mêmes gènes qu’une cellule de poumon. « Grâce à la spécificité de ce profil d’expression, on est donc capable de déterminer l’origine d’une cellule ». Et a fortiori, d’une tumeur.
Un cerveau informatique
L’idée du Dr Watson est simple : comparer le profil d’expression de ces tumeurs inconnues avec ceux de tumeurs dont on connaît l’origine. Simple. En théorie. Car, lorsque la chercheuse se lance dans ce projet, il n’existe pas de “bibliothèque” regroupant ces données. Le Dr Watson et son équipe s’attèlent alors à un travail de fourmi : fouiller dans les bases scientifiques et répertorier les profils d’expression de 20 000 gènes dans près de 20 000 échantillons de tumeurs et de tissus sains.
Le volume d’information est colossal. Trop pour être analysé par un cerveau humain. L’équipe fait donc appel à l’intelligence artificielle, et crée un outil de “deep learning” [“apprentissage profond” en français, NDLR] qu’elle entraîne à associer un profil d’expression à un organe.
Des résultats inattendus
L’équipe teste l’outil sur 48 patients atteints de cancers d’origine inconnue. Les résultats sont au-delà de leurs espérances : TransCUPtomics(1) – de son petit nom – identifie l’organe d’origine du cancer dans 80% des cas. Mieux encore, parmi 11 patients récemment diagnostiqués, les résultats permettent d’orienter le choix du traitement de 8 d’entre eux et de contrôler le développement de leur tumeur.
Cela a été le cas pour Valentin. « La veille du jour où on devait lui administrer une chimiothérapie à large spectre, l’outil a montré que son cancer avait pris naissance dans son rein. C’était une information majeure car ces cancers sont très résistants à la chimio. On a donc décidé de l’inclure dans un essai clinique avec de l’immunothérapie et des thérapies ciblées. Aujourd’hui, il est en réponse complète ».
Normaliser la pratique
Grâce à ces résultats convaincants, TransCUPtomics est maintenant utilisé en routine à l’institut Curie. Une première pour un outil d’intelligence artificielle. Le Dr Sarah Watson espère bien le déployer sur toute la France : « La prochaine étape est d’intégrer notre outil à une RCP nationale(2) des cancers d’origine inconnue pour que les patients extérieurs à l’institut Curie puissent en bénéficier. Le séquençage va devenir un outil majeur pour le diagnostic et le traitement des cancers. D’ici 2025, on en fera en routine partout ».
Paul Thorineau et Emilie Groyer
*Son prénom a été modifié par la rédaction
1. En référence à la transcriptomique, la technique d’analyse de l’ARN, et les “cancer of unknown primary” (CUP), les cancers d’origine inconnue en français
2. La Réunion de concertation pluridisciplinaire nationale des cancers de primitif inconnu (RCP nationale CUP) a pour objectif la prise en charge de patients atteints d’un cancer métastatique d’emblée dont l’origine primitive n’a pu être déterminée. Elle réunit une fois par mois un groupe d’experts chargés de donner leur avis sur la meilleure option thérapeutique pour le patient.