Je suis franco-japonaise, polyglotte – je parle quatre langues – et plutôt baroudeuse. En 2019, j’ai 33 ans et je vis à Paris. J’y enseigne l’anglais tout en poursuivant un cursus universitaire en langues appliquées. Une reconversion: j’étais comédienne avant. Je me mets une pression de dingue à tout mener de front, mais je réussis à obtenir ma licence. Le stress retombe, et c’est là que le destin me cueille : cancer du col de l’utérus. Le traitement sera chirurgical : une hystérectomie. Pas d’états d’âme. Cet organe que l’on me retire, c’est comme un soulagement pour moi qui ai été une enfant abusée sexuellement. Je ne serai pas mère, cela tombe bien, je n’ai jamais voulu d’enfant. La vie continue. Je me lance dans un master, et le stress reprend. Je ne ménage ni mon corps, ni mon esprit.
Revoir mes priorités
Quand je ne suis pas face à mes élèves, j’étudie. Je m’enferme, je m’isole. Et ça paie : je décroche mon diplôme en juin 2021. Mais en prime : une récidive de cancer. On me diagnostique une « carcinose péritonéale ». Traduction : mon péritoine est atteint par des métastases. Cette fois, c’est la chimio ! Le traitement est assez lourd pour un résultat peu satisfaisant ; alors, en mars 2022, nouveau protocole : thérapie par anticorps avec une cure toutes les trois semaines, que je tolère bien. Depuis, je n’arrête pas de m’interroger : pourquoi ce cancer qui va, qui vient, et qui revient ? A-t-il un lien avec mon stress chronique, mes blessures intimes ? Je n’ai pas la réponse, mais cette récidive me fait l’effet d’un électrochoc : il est peut-être temps que je revoie mes priorités.
Objectif : Vienne
2023, nouvelle année, nouvelle certitude : je pars à Vienne, en Autriche. Je sens que ma place est là-bas, dans cette ville où j’ai passé plusieurs mois en 2011 alors que j’étais étudiante. De cette époque heureuse, j’ai gardé des amis, que je retrouve, fidèles, à l’occasion de courts séjours. J’ai maintenant une conscience aiguë de la fragilité de la vie. Si l’on a des rêves, il faut tenter de les réaliser sans attendre. Oui, mais encore faut-il que je trouve le moyen d’être prise en charge à Vienne. Lors d’un de mes séjours pour y faire des repérages, j’ai rencontré une gynécologue, que je sollicite et qui me met en relation avec un oncologue hospitalier. Selon lui, pas de problème pour que je continue mon traitement, mais il est impératif que je lui transmette l’intégralité de mon dossier médical… traduit en allemand !
Vive le formulaire S1 !
La bataille administrative commence ! Après de multiples courriers et je ne sais combien d’appels téléphoniques, j’obtiens mon dossier de mon hôpital parisien. Reste à trouver un traducteur spécialisé en vocabulaire médical. Je finis par en dénicher un. En un peu plus de deux semaines, il vient à bout de la traduction de mes cinq années de suivi oncologique ! Dans le même temps, je me renseigne auprès de la Sécurité sociale sur les conventions de santé européennes entre la France et l’Autriche. On me parle de formulaire S1, qui permet de continuer de bénéficier de la couverture sociale de son pays d’origine dans son nouveau pays de résidence ? Super !
Le bonheur se mérite
Mais – car il y a un «mais» – il faut que j’aie le statut de salariée détachée. Je me rapproche donc de mon employeur français, qui accepte que je donne désormais mes cours d’anglais en ligne depuis l’Autriche. Reste à attendre la réponse de la Sécurité sociale. Elle tarde à venir… Tant pis, en août 2023, je décide quand même de partir m’installer à Vienne. Dans le pire des cas, je ferai des allers-retours pour poursuivre mon traitement à Paris ! Bonne surprise, le 8 septembre, mon statut de salariée détachée est reconnu, et j’obtiens ma e-card, l’équivalent de la carte Vitale. Quelques jours plus tard, j’ai mon premier rendez-vous en oncologie à Vienne. Hasard heureux, on me propose également un poste d’assistante au lycée français de Vienne !
À plus de 1 200 km de Paris, je n’ai aucun regret ! Je me sens utile, ma vie sociale et culturelle –ah ! l’opéra –est riche. Toutes les trois semaines, je me rends dans mon hôpital viennois pour prendre mon traitement. La vie est décidément un défi à relever, une aventure à tenter, un bonheur à mériter. Verbreiten sie es weiter !1
1.« Qu’on se le dise ! »
Retrouvez cet article dans Rose magazine n°26
Illustration : Sabrina Chesse