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« Les hommes souffrent davantage d’être faillibles »

{{ config.mag.article.published }} 16 mars 2016

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Se sentir faibles, mettre leur famille en danger, perdre de leur autorité, voire de leur aura, voilà ce dont souffrent les hommes. De n’être finalement que des hommes…

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À tort ou à raison, on a tendance à considérer que les hommes parlent moins d’eux-mêmes que les femmes. Constatez-vous ce comportement ?

Dr Pascal Rouby*. Non, pas vraiment. Je dirais plutôt que les hommes sont moins enclins, spontanément, à utiliser les services mis à leur disposition. D’eux-mêmes, ils vont moins au devant du psychologue, de l’assistante sociale. Les femmes sont plutôt plus actives, les hommes plus passifs. Si on ne leur propose rien, ils ne viennent probablement pas. Mais s’il y a la possibilité d’un lien, ils s’en saisissent et, une fois la relation établie, ils évoquent, comme les femmes, des choses très personnelles, très intimes. Bon, peut-être me parlent-ils plus facilement des difficultés sexuelles liées à la maladie ou à ses effets secondaires qu’ils ne le font avec une femme ou un jeune médecin… Et encore, ce n’est pas sûr.

Qu’est-ce qui freine, au départ ? 

Quelques stéréotypes culturels encore tenaces : un homme, ça ne se plaint pas, ça prend sur soi… Face à leurs proches, les hommes veulent faire bonne figure. Mais une fois que nous sommes tous les deux, ils tombent le masque et se disent soulagés de pouvoir craquer.

Remettent-ils ensuite leur masque quand ils retrouvent leurs proches ? 

Parfois, oui. Mais c’est là que le travail de psychothérapie entre en jeu. À nous de leur dire : « Vous savez, vous pouvez peut-être aborder certaines difficultés avec vos proches sans que ce soit catastrophique, ce n’est peut-être pas si dangereux. » Ou alors : « Qu’imaginez-vous que votre femme risque de dire ou de faire ? » Ce sont des thématiques que nous abordons souvent au cours des séances.

Au fond, en quoi le cancer affecte-t-il les hommes différemment des femmes ? 

Sans doute les hommes souffrent-ils davantage de l’impression de faillir, de ne plus être en état de protéger leur famille, de la mettre financièrement en danger en n’étant plus en mesure de ramener un salaire à la maison… Mais ces réactions dépendent aussi beaucoup de la manière dont ils vivaient avant la maladie. Un homme très impliqué dans son rôle de chef de famille vivra ces fragilités, ce problème de place, d’autorité, beaucoup plus douloureusement qu’un autre. Un homme qui, avant la maladie, était très sensible à son image, à son apparence, aura lui beaucoup de mal avec les contrecoups esthétiques des traitements, notamment la perte des cheveux. Il demandera plus facilement et rapidement à voir la coiffeuse ou la socio-esthéticienne. Quant aux jeunes adultes, ils évoquent les mêmes thématiques, qu’ils soient hommes ou femmes : un très fort sentiment d’injustice d’abord et, dans un deuxième temps parfois, la sexualité et l’infertilité.

Vos patients évoquent-ils aussi des inquiétudes liées à la vie professionnelle ?

Oui, pour ceux qui travaillent ou entrent tout juste dans le monde du travail. Ils se demandent si le cancer va interrompre leur carrière, les condamner au placard après les traitements, s’ils seront toujours en état d’exercer leur métier… Sur ce point, il n’y aucune différence entre les femmes et les hommes.

Qui initie votre première rencontre avec les patients ? Les soignants ?

Oui. Il n’est pas exceptionnel que les équipes nous disent : « Bon, ce serait bien que tu passes voir M. X, mais tu feras attention, il n’a pas très envie de parler. » Et puis, finalement, on reste ensemble une heure ! Preuve encore une fois que si les hommes hésitent davantage à recourir à un dispositif, ils l’emploient en revanche très bien quand il s’offre à eux.

Êtes-vous toutefois davantage sollicité par les conjoints ou les enfants que vous ne l’êtes quand le patient est une patiente ?

Il me semble que oui. Les proches, les épouses, viennent me dire : « On ne le reconnaît plus/il se renferme/il ne parle plus/on s’inquiète pour lui/ il ne voit plus ses amis. »

Ces proches sont-ils présents à vos consultations ?

Ça arrive, ça permet de poser un constat commun : le patient, son épouse et moi observons que « ça ne va pas ». Nous abordons ce problème ensemble, ce qui m’aide à amorcer le dialogue que je poursuivrai ensuite seul avec le patient, une fois que j’aurai raccompagné sa femme dans la salle d’attente. Mais cela vaut surtout pour les pathologies psychiatriques. Dans les cas de troubles psychologiques, les patients ont besoin de pouvoir parler librement de problèmes intimes, conjugaux, sexuels. Je les vois alors seuls. Du coup, il arrive qu’une plainte banale sur le fait que le patient « se renferme » débouche sur un vrai problème conjugal, antérieur à la maladie. Pour les hommes comme pour les femmes, le cancer est un révélateur : quand le couple se portait bien avant, il continue après, voire se trouve renforcé. En revanche, si des difficultés préexistaient, elles sont accrues par la maladie. À nous alors d’orienter le patient et son épouse vers une thérapie de couple, qui n’est plus de notre ressort.

On pourrait pourtant imaginer que, la maladie étant responsable de leurs difficultés, les hommes ne se sentent pas « coupables » et acceptent plus volontiers la présence de leur femme, voire la souhaitent.

Oui, mais même si la situation est liée à la maladie, même si « ça n’est pas de leur faute », le problème existe. Le trouble est là. Ces patients se sentent donc défaillants, ce qui génère chez eux des affects dépressifs, lesquels, à leur tour, entraînent un fort sentiment de culpabilité : quand on déprime, on a plus volontiers tendance à considérer que tout est de notre faute. Certains patients expriment d’ailleurs clairement la crainte que leur épouse se lasse d’eux et les quitte.

Vous sembliez dire, tout à l’heure, que les proches étaient plus présents à vos consultations purement psychiatriques. Pourquoi ?

Parce que lorsque je suis appelé pour des syndromes dépressifs classiques avec idées noires, perspective négative de l’avenir, angoisses, craintes de la récidive, ma consultation s’accompagne souvent d’une prescription médicamenteuse. Le proche sera donc présent au début, et parfois à la fin, pour que l’on fasse ensemble un point sur le traitement. Souvent, les femmes sont plus impliquées dans les traitements, elles les suivent de plus près.

Vous voulez dire que les hommes sont moins observants ?

Non, pas forcément, mais ils délèguent davantage, qu’il s’agisse de l’organisation des rendez-vous ou du suivi des ordonnances… Vous savez, le : « C’est madame qui gère ! » On voit ça souvent, beaucoup plus que l’inverse, spécialement chez des patients plus âgés. Dans ces couples-là, madame gère depuis toujours la vie quotidienne, les courses, bien sûr, mais aussi d’autres traitements courants, antérieurs au cancer, contre l’hypertension, par exemple. Donc on est dans la continuité d’un comportement habituel.

Et avec vous, les hommes sont-ils « observants » ?

Oui. Ils sont très fidèles à nos rendez-vous. Quand je les quitte en leur demandant de me faire appeler par les infirmières quand ils seront de nouveau hospitalisés, ils le font. Il y a même des patients que je suis depuis des années alors qu’ils sont en rémission. Je les vois tous les six mois pour un point. C’est important pour eux, ça les rassure : ils viennent vérifier qu’en plus de l’oncologue le psy est toujours là, lui aussi ! Beaucoup de choses se sont dites ici…

 

*Pascal Rouby, Psychiatre à l’institut Gustave Roussy à Villejuif.


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Béatrice Lorant

Ancienne rédactrice en chef de Rose magazine

59:29

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Paris

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