Pour bénéficier de l’aide à mourir, la personne qui en fait la demande doit respecter certains critères. Quels sont-ils ?
Dr Agnès Moura : Elle doit répondre à 5 critères cumulatifs. Elle doit être majeure, être née ou résider en France. Elle doit être capable d’exprimer sa volonté.
Elle doit être atteinte d’une maladie grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou en phase terminale. Elle doit présenter « une souffrance physique ou psychologique constante », « qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne ». La souffrance psychologique seule ne permet toutefois pas de bénéficier de l’aide à mourir. (voir notre encadré « Bon à savoir » pour connaître les termes exacts de la loi)
Selon vous, ces critères sont-ils suffisamment précis, notamment pour des personnes touchées par un cancer ?
Cela reste assez flou. La phase avancée a été définie comme « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ».
Toutes les maladies métastatiques entrent dans cette définition. Pourtant, ces pathologies englobent des situations très diverses.
Prenons l’exemple d’une femme atteinte d’un cancer du sein avec des métastases osseuses. Il s’agit bien d’une maladie incurable, irréversible, qui affecte sa qualité de vie. Pour autant, son espérance de vie peut être d’une dizaine d’années. Je ne crois pas que les législateurs aient eu en tête ce type de patient quand ils ont rédigé la loi.
Les critères sont donc très vastes.
Et qu’en est-il de l’évaluation de la souffrance ?
Là aussi, c’est assez flou. Tout d’abord parce que la souffrance est subjective, elle est donc impossible à quantifier par un tiers.
Ce qui me fait peur dans cette loi, c’est qu’on essaie de hiérarchiser la souffrance des gens sans critères objectifs. Dans les débats, les législateurs ont souvent fait mention de leur expérience ou conviction personnelles. Selon moi, cela ne permet pas d’avoir une vision claire et apaisée des choses.
Qui appréciera ces critères ?
Le médecin du patient. Il est le seul à décider si oui ou non le patient satisfait aux critères. En revanche, il doit prendre sa décision à l’issue d’une procédure collégiale durant laquelle il doit recueillir l’avis d’au moins un médecin et d’un auxiliaire de vie ou d’un aide-soignant.
C’est une procédure que l’on connait bien puisqu’elle existe depuis la loi Claeys-Leonetti de 2016 sur le droit à la sédation profonde.
Justement, qu’est-ce qui distingue la sédation profonde de l’aide à mourir, telle que décrite dans cette loi ?
Les critères d’éligibilité ne sont pas les mêmes. La sédation profonde et continue jusqu’à la mort prévoit que le pronostic vital de la personne soit engagé à court terme. Le « court terme », bien que sans définition précise, est souvent estimé comme allant de quelques jours à quelques semaines.
Dans la loi actuelle, il n’y a plus aucune notion de temporalité mais seulement une notion floue de gravité de la maladie avec » la phase avancée ». Cela élargit donc considérablement les critères d’inclusion.
À mon avis, cela va conduire à l’abandon de la sédation profonde.
Vous le regretteriez si cela arrivait ?
De mon expérience, tous les patients prononcent un jour la phrase : « Moi, quand je n’en pourrai plus, je demanderai la piqure » avant même que la loi n’ait été proposée. Mais cette notion de « ne plus en pouvoir » évolue. Au départ, cela peut être « quand je ne pourrai plus faire le tour du monde », ensuite ce sera « quand je ne pourrai plus conduire », et encore plus tard « quand je ne pourrai plus sortir de ma chambre »…
Encore faut-il leur laisser le temps de s’adapter à la situation. Comme la sédation profonde ne peut être proposée qu’en dernier recours, nous disposions de ce temps. Quand la personne exprimait ce ras-le-bol, lui rappeler la possibilité d’une sédation profonde pouvait suffire à calmer leur angoisse. Nous pouvions alors lui proposer des solutions pour soulager sa souffrance et lui permettre de faire ce pas de côté salutaire.
Avec l’aide à mourir vous craignez que ce dialogue avec le patient soit court-circuité ?
Oui d’autant plus que la loi prévoit un délit d’entrave assez sévère : « est puni de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir ». C’est un garde fou nécessaire mais je me demande si le fait que je dissuade mes patients de baisser les bras peut être considéré comme une entrave. Or pour moi, c’est du soutien !
J’ose espérer que nous n’en arriverons pas là avec nos patients car nous avons instauré une relation de confiance avec eux et que le dialogue est possible. Mais la loi prévoit également qu’une association de patients puisse se constituer partie civile. Dans ce cas, je ne sais pas si nous aurons le même échange.
Concernant le débat entre suicide assisté et euthanasie, où en est-on ?
Au départ, la loi prévoyait de laisser le choix au patient soit de s’administrer lui-même le produit létal – en d’autres termes d’opter pour le suicide assisté – soit de recourir à un tiers – c’est-à-dire à l’euthanasie.
Dans la dernière version de la loi, le patient peut demander à un médecin ou à une infirmière d’administrer le produit létal uniquement dans le cas où il est en incapacité physique de le faire.
Le texte doit être examiné par le Sénat avant la rentrée. Qu’attendez-vous des sénateurs ?
Plus de clarté ! Comme le disait Camus : « Mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde« . Les termes « euthanasie » et « suicide assisté » ne sont même pas mentionnés dans le texte de loi. Appelons un chat, un chat !
BON À SAVOIR : L’article 4 de la loi sur le droit à l’aide à mourir définit les conditions d’accès comme suit :
1° Être âgée d’au moins dix-huit ans ;
2° Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;
3° Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ;
4° Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ;
5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.