Leucémie. « Quand j’ai découvert ce mot dans le courrier alors que j’étais juste un peu fatiguée, le ciel m’est tombé sur la tête », se souvient Martine, 67 ans. « C’était étrange, paradoxal même : pour moi, cette maladie renvoyait à l’idée de mort. Mais, quand j’ai vu l’hématologue, il m’a dit que je n’aurais pas de traitement. » Car il n’y a pas une mais des leucémies. Sommairement, on distingue les leucémies aiguës, qui se développent rapidement, et les leucémies chroniques, plus indolentes.
Entre les deux, tout un monde et autant de modalités de prise en charge et de pronostics différents. Spécialiste de la leucémie lymphoïde chronique, encore appelée LLC, le Dr Anne-Sophie Michallet n’hésite pas à dire que « l’on ne mourra pas de cette maladie, mais d’autre chose ». Une réalité qui n’est pas toujours facile à comprendre pour les malades, et qui exige quelques explications. C’est pourquoi, avant de parler de parcours de soins avec ses patients, le Pr Xavier Troussard, hématologue au CHU de Caen, préfère discuter de parcours de vie : « Grâce aux avancées thérapeutiques, nous allons être amenés à nous voir longtemps », leur assure-t-il…
LE SAVIEZ-VOUS ?
Il existe 4 formes de leucémie :
Les leucémies aiguës
- La leucémie lymphoïde aiguë (LLA)
- La leucémie aiguë myéloïde (LAM)
Les leucémies chroniques
- La leucémie lymphoïde chronique (LLC)
- La leucémie myéloïde chronique (LMC)
Elle peut passer inaperçue
Bien que ce soit la plus fréquente des leucémies chez l’adulte, ce n’est pas la plus connue. La LLC se caractérise par un nombre excessif d’un certain type de globules blancs, les lymphocytes B, qui jouent un rôle dans les défenses immunitaires en fabriquant des anticorps. Cette accumulation se produit dans la moelle osseuse, le sang et le système lymphatique (ganglions lymphatiques, foie et rate). Frappant deux fois plus les hommes que les femmes et survenant le plus souvent après 50 ans, avec près de 4 700 nouveaux cas chaque année en France, cette leucémie nécessite un suivi régulier et parfois un traitement. Cancer de bon pronostic, elle affiche un taux de survie à 5 ans d’environ 85 %1. Bien qu’elle ne soit pas héréditaire, des prédispositions familiales sont retrouvées dans 5 % des cas. À ce jour, aucune cause précise n’a été formellement identifiée. Néanmoins, selon le Dr Anne-Sophie Michallet, hématologue au centre Léon-Bérard, à Lyon, « plus de 50 % des patients ont plus de 70 ans, cela laisse penser que la sénescence de la moelle osseuse et du système immunitaire favorise l’émergence de la maladie ».
EN CHIFFRES
85 % c’est le taux de survie à 5 ans des malades
Source : cancer.net, « Leukemia-CLL Statistics »
Comme bien d’autres cancers, elle apparaît à bas bruit et peut passer complètement inaperçue. De nombreux patients rapportent simplement « ne pas se sentir bien » ou « être fatigués ». Les médecins la découvrent de façon fortuite, lors d’une analyse de sang demandée pour une autre raison. Elle peut aussi être suspectée quand se manifestent certains signes cliniques comme une augmentation de la taille de certains ganglions lymphatiques ou du volume de la rate, du foie ou, plus rarement, des amygdales. D’autres signes moins spécifiques peuvent se présenter : fatigue, perte d’appétit et de poids, fièvre, mais aussi anémie avec essoufflement à l’effort et palpitations, ecchymoses spontanées ou saignement du nez et des gencives.
UNE VIE DÉDIÉE AU DON DE VIE
Donner un sens à ce non-sens qu’est la mort de son enfant emporté par une leucémie, c’est le combat d’une vie. Celui de Stéphanie Fugain, présidente de l’association Laurette Fugain, du nom de sa fille, enlevée par la maladie en 2002. « Durant son hospitalisation, j’ai constaté un inconcevable manque d’informations auprès du public concernant les dons de vie tels que les dons de plaquettes et de moelle osseuse. Il est difficilement acceptable de voir mourir un être humain parce que d’autres n’ont pas su qu’ils pouvaient le sauver. » Au cours de sa vie, un patient atteint de leucémie n’aura pas seulement besoin d’un bon hôpital et d’une chimiothérapie. Des transfusions de sang et de plaquettes, voire une greffe de moelle osseuse, s’avèrent souvent nécessaires. Raison pour laquelle, chaque jour, cette maman sensibilise au don de vie, soutient les patients et leurs proches, multipliant les initiatives pour faciliter leur parcours. Dernière action en date, la création d’un « atelier fratrie » : laurettefugain.org
Un traitement n’est pas systématique
Grâce à une meilleure connaissance de la maladie et de son environnement, la prise en charge a considérablement évolué ces dernières années. Des progrès thérapeutiques majeurs donnent des réponses profondes et durables, sans pour autant être à l’origine d’authentiques guérisons. « Le traitement est décidé en fonction du stade de la maladie, selon la classification de Binet, qui distingue trois stades, A, B et C et en fonction du nombre de territoires ganglionnaires, précise le Pr Troussard. La stratégie optimale est de ne pas traiter les patients présentant des facteurs de bon pronostic, mais de traiter intensément ceux qui présentent des critères de plus mauvais pronostic. »
Selon ses caractéristiques cinétiques (mécaniques) et génétiques, la LLC peut relever soit d’une simple surveillance régulière et attentive (tous les 3 à 6 mois ou tous les 6 à 12 mois), qui peut durer des années (LLC de stade A), soit de traitements médicamenteux plus ou moins complexes (stades B et C associés à des symptômes sévères). « On ne traite que sur des critères de maladie et pas juste sur un chiffre lymphocytaire », ajoute le Dr Michallet. Schématiquement, selon la loi des 3 tiers : un tiers des patients sont traités d’emblée, un tiers ne sera jamais traité, et le dernier tiers le sera au bout de quelques années.
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Le protocole de soins standard d’une LLC repose le plus souvent sur une association de traitements : une chimiothérapie, qui a l’inconvénient de détruire les cellules saines, et un anticorps monoclonal, qui reconnaît et détruit par différents mécanismes des antigènes de surface présents sur les cellules malignes. Certains, comme l’ibrutinib, inhibent la prolifération des lymphocytes ; d’autres, comme le vénétoclax, entraînent l’apoptose, la mort cellulaire. « L’enjeu majeur étant d’identifier des facteurs associés à un risque d’évolution de la maladie », souligne le Pr Troussard.
Pour cela, on cherche les éventuelles anomalies génétiques dans le statut mutationnel des gènes des immunoglobulines (IGVH). Ainsi on va pouvoir différencier les LLC d’évolution indolente, avec un profil muté (environ 50 % des patients), des LLC qui vont évoluer plus rapidement, avec un profil IGVH non muté. Il convient aussi de rechercher des anomalies cytogénétiques sur différents chromosomes (11, 12, 13, 17) et/ou des mutations sur le gène TP53, à partir d’un échantillon de sang. L’existence ou non de ces anomalies va conditionner le choix des traitements. Les patients montrant une mutation TP53 ou une délétion 17p (c’est-à-dire la rupture d’un chromosome et disparition d’une de ses parties provoquant une mutation) seront orientés vers un traitement par thérapie ciblée. Ce type de traitement pouvant contenir des toxicités, une attention particulière sera apportée au patient afin de l’aider à préserver la meilleure qualité de vie possible. Enfin, une greffe de moelle osseuse ou de cellules souches s’avère parfois nécessaire, lorsque la maladie résiste à tous les traitements. Cette procédure étant lourde, on la préconise pour les patients de moins de 70 ans, présentant un bon état de santé général.
Stades A, B ou C ?
Stade A, l’augmentation du nombre des lymphocytes B est la seule anomalie identifiée. Aucun symptôme n’y est associé. Il n’y aura pas de traitement, car la plupart de ces cas restent stables pendant de nombreuses années. Une numération formule sanguine (NFS) de contrôle est effectuée tous les 6 à 12 mois afin de repérer une éventuelle aggravation de la maladie.
Stade B, le patient présente une augmentation du nombre des lymphocytes B et une augmentation du volume de la rate ou des ganglions dans trois régions différentes du corps (ganglions cervicaux, axillaires, inguinaux…), due à la fuite de lymphocytes du sang et de la moelle osseuse vers ces « réservoirs ».
Stade C, l’augmentation du nombre des lymphocytes B est associée à une baisse anormale du nombre de globules rouges (anémie) ou de plaquettes (thrombopénie).
Prévenir les infections et la fatigue
Pour maîtriser les éventuelles complications associées aux traitements et à la maladie elle-même, d’autres traitements peuvent être prescrits. Avec cette hémopathie maligne, « la prévention des infections demeure un point crucial », insiste le Dr Camille Bigenwald, hématologue à Gustave-Roussy. Les patients sont souvent fragilisés par un déficit immunitaire, parce que les cellules de leur système immunitaire soit ne fonctionnent pas bien, soit ne produisent pas suffisamment d’anticorps. Cette déficience les expose à un risque infectieux accru face aux virus ou à certaines bactéries. Pour y parer, ils doivent prendre un certain nombre de précautions dans la vie quotidienne et respecter un schéma vaccinal rigoureux : injections et rappels contre la grippe, le méningocoque, le pneumocoque, l’hépatite B et Haemophilus influenzae. « Concernant le Covid-19, protection renforcée avec 3 vaccinations successives et un booster, que les patients soient en traitement ou non », ajoute le Dr Bigenwald. En cas d’épisode infectieux à répétition, une antibioprophylaxie pourra être proposée. « Il est important que l’on remette des ordonnances à nos patients pour qu’ils puissent réagir vite, précise le Pr Troussard, et qu’ils informent rapidement l’équipe de la survenue d’un événement. » Si cela ne suffit pas, des perfusions d’immunoglobulines pourront être indiquées.
EN CHIFFRES
4 700 nouveaux cas de LLC ont été diagnostiqués en France en 2018
60 % des cas concernent les hommes
71 ans, âge médian du diagnostic chez l’homme, 73 ans chez la femme
Source : Inca
Suivie depuis 2021 au centre Léon-Bérard, Danielle, 79 ans, est considérée comme à très haut risque Covid-19. « Mes seules sorties sont limitées aux rendez-vous médicaux », confie-t-elle. Pour ne pas prendre de risques, elle évite désormais les lieux publics très fréquentés, notamment les transports en commun. Ses courses et ses déplacements sont assurés par sa famille. Sous thérapie orale, elle avoue que sans le programme AMA (assistance aux malades ambulatoires) et les coups de téléphone hebdomadaires d’Alexiane, son infirmière, elle se sentirait très isolée : « Ce n’est pas facile de gérer seule les effets secondaires, de savoir quoi faire quand on a des troubles digestifs, des douleurs musculaires ou articulaires, des infections cutanées ou des mucites, avoue-t-elle. Quand j’ai un problème, j’appelle Alexiane et elle sert de relais auprès du médecin pour les ordonnances. Grâce à elle, je n’oublie pas de prendre mon comprimé chaque jour à heure fixe. Mais, surtout, je me sens vraiment écoutée, et c’est très réconfortant. » Ce programme de surveillance, qui a fait l’objet d’une étude2, a prouvé son efficacité, favorisant une meilleure observance du traitement par ibrutinib et améliorant la survie des patients.
« La fatigue : peut-être la chose la plus difficile à accepter pour nos patients » – Dr Michallet
Autre facteur de risque à prendre en compte : la plus grande fatigabilité des patients. Pour le Dr Michallet, le meilleur moyen de lutter contre les coups de pompe, « c’est encore et toujours l’indispensable activité physique adaptée. La fatigue, c’est peut-être la chose la plus difficile à accepter pour nos patients qui ont un cancer du sang. Au départ, on leur dit de ne pas changer leurs habitudes de vie, qu’ils seront juste surveillés et qu’ils doivent intégrer cette fatigabilité et un plus grand risque infectieux dans leur quotidien et leur vie professionnelle ». Des paramètres plus ou moins faciles à gérer. Tout comme l’angoisse, difficile à maîtriser entre deux bilans sanguins. Pour se rassurer, Martine se dit « qu’elle a une maladie dormante, de bon pronostic ».
De son côté, Sylviane, 73 ans, ancienne journaliste, ne s’est jamais considérée comme malade. « Je ne me suis pas vraiment écoutée. Car dans “leucémie lymphoïde chronique” il y a justement ce mot, “chronique”, que je n’ai jamais perdu de vue. On peut vivre longtemps avec cette maladie, et mener une vie quasi normale. La preuve : je reçois plusieurs lignes de traitements (chimio, immunothérapie…) depuis 20 ans. J’ai fait une récidive en 2014, mais je suis toujours partie du principe que les traitements marcheraient. » Très active, cette grand-mère de 5 petits-enfants, élue locale à Auch, compte bien poursuivre ses activités, même si parfois certains aménagements s’avèrent nécessaires.
« Le meilleur médicament pour moi, c’est une heure au moins de grand calme par jour » – Martine
Au contraire, Martine, diagnostiquée il y a 13 ans à l’âge de 54 ans d’une LLC de stade A asymptomatique, n’a jamais eu besoin de traitement. Mais l’annonce de sa maladie a bouleversé sa vie : « Je sais que je ne suis pas un cas “grave”, pourtant j’ai eu beaucoup de mal à l’accepter. À tel point que, pendant 2 ans, je n’en ai pas parlé à mes enfants, et que mon employeur n’en a jamais rien su. Je ne voulais pas sentir de regard apitoyé peser sur moi. » à l’Oncopole, de Toulouse, son hématologue lui a toujours répété qu’elle devait vivre normalement. Ce qu’elle s’applique à faire entre deux visites, menant une vie saine et prenant encore plus soin d’elle qu’avant. « La maladie a été un déclencheur : après le diagnostic, je me suis posée. J’ai arrêté d’être dans la compétition. J’ai tenu compte de ma fatigue. J’ai vite compris que le meilleur “médicament” pour moi, c’était une heure au minimum de grand calme chaque jour : qi gong, méditation, lecture, balade dans la nature avec mon chien. » Expert-comptable à la retraite, elle tient au sein de l’Oncopole une permanence pour l’association Ellye afin d’informer les patients qui, comme elle, ont du mal à percevoir les différentes facettes d’une LLC, et de les rassurer et les inciter à en parler. Une mission qui lui donne des ailes.
INFO +
Ellye (Ensemble leucémie lymphome espoir)
Vivre avec une LLC
Illustration de Martin Jarrie
Dossier réalisé en partenariat avec la fondation ARC
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 22, p. 78)
1. et 3. France lymphome espoir, enquêtes « Accès aux soins 2019 » et « Vécu et attentes des patients 2016 ».
2. Bennett B., Goldstein D. et al., « Fatigue and psychological distress. Exploring the relationship in women treated for breast cancer », European Journal Cancer, 2004.
4. Mouysset J.-L., Spiegel D. et al., « Structured Psychosocial Intervention for French Patients with Metastatic Cancer is possible in real life », Journal of Cancer Rehabilitation, 2020.
5. Barton D., Journal of National Cancer Institute, 2013.