INFO+ : Ce podcast est produit par Louie Creative, l’agence de Louie Media. Sandrine Mouchet et Emilie Groyer de RoseUp ont écrit cet épisode, Eva Tapiero l’a préparé. Bénédicte Schmidt en a fait la réalisation et le mix sur une musique de Marine Quéméré. La production est supervisée par Eloïse Normand avec l’aide de Anouk Solliez.
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Je m’appelle Anne-Catherine, j’ai 32 ans, je suis agent administratif dans la fonction publique et j’ai un cancer invisible.
J’ai appris le diagnostic le 16 février 2024. C’est un cancer de l’œsophage à un stade avancé avec une métastase au niveau du foie.
Au niveau du protocole, l’oncologue avait prescrit de la chimiothérapie combinée à de l’immunothérapie, avec l’espoir que ça fasse régresser un maximum la tumeur principale, pour pouvoir ensuite l’opérer. En première cure, le traitement a bien fonctionné : ça a fait bien régresser la tumeur principale donc l’opération n’était plus vraiment envisageable. Malheureusement, la métastase s’est avérée résistante. C’est pour ça qu’on a dû continuer la chimiothérapie, mais sans immunothérapie.
Je ne me sentais pas légitime
Les effets secondaires, on me les a cités. Il y avait très peu de probabilité de perdre ses cheveux, donc c’était quelque chose que j’ai vite mis de côté. Les autres effets, c’était nausées, vomissements. Mais les effets secondaires les plus embêtants, c’étaient les neuropathies et surtout au contact du froid. Je ne pouvais plus rien toucher, c’était plus possible. Et ça a duré six mois.
Le fait de ne pas perdre mes cheveux, ça a été rassurant. Que le cancer ne soit pas visible, en soi, c’était bien, c’est ce que je voulais au départ, qu’on ne voit pas que je sois malade. Mais ça a été un poids aussi. Je ne me sentais pas légitime d’être plus fragile parce que ça ne se voyait pas.
« Elle n’est pas si malade »
C’est vrai qu’une semaine sur deux je suis en chimio et une semaine sur deux je vais bien parce que je récupère assez vite, mais ce n’est pas pour autant que je ne suis pas malade. Et donc une semaine sur deux, quand je vais bien, je profite de la vie en fait. Il m’est arrivé plusieurs fois de partir en voyage et, comme toute personne à peu près aujourd’hui, j’ai posté sur mes réseaux sociaux. Plusieurs fois il m’est arrivé d’avoir des remarques. Une personne qui pouvait dire : « Elle n’est pas si malade que ça, regarde ce qu’elle fait. »
Finalement, c’est quelque chose qui a pu me faire du mal.
Jugée sans savoir
Un jour j’ai utilisé ma carte de stationnement pour personnes handicapées. C’est un avantage pour moi parce que je ne peux pas forcément marcher longtemps. Le temps de faire mes courses et de revenir, quelqu’un s’était garé à côté. Cette personne m’a regardée alors que j’arrivais vers ma voiture et a dit : « Bon, moi je ne dis rien, mais quand même ». Jugeant éventuellement que mon apparence ne voulait pas dire handicap.
Je trouve que ce n’est pas correct de dire des choses pareilles quand on ne sait pas.
Cela ne se voit pas donc ça n’existe pas
Au niveau du travail, j’ai d’abord informé mon manager – parce que, forcément, elle allait être au courant – et deux collègues plus proches. Elles ont pris des nouvelles vraiment en pointillés jusqu’à ne plus prendre de nouvelles du tout.
Globalement, mon entourage a réagi de manière assez diverse. Certains, c’était la peur, d’autres c’était la tristesse, l’empathie, … Et pour d’autres, le fait que cela ne se voit pas, finalement, cela a baissé ce poids de la maladie à leurs yeux. Finalement, pour eux je n’étais pas si malade, ce n’était pas si grave que ça…
Cette phrase-là, c’est quelque chose qui me reste en travers de la gorge. Parce qu’en fait la maladie est là, la douleur est là, le poids de la maladie est là.
Devoir porter le poids de la maladie seule
Il y a plusieurs circonstances pour lesquelles j’aurais aimé qu’on m’aide. J’aurais aimé qu’on prenne plus l’initiative sur les services qu’on pourrait éventuellement me rendre, comme m’aider par exemple aux courses ou venir me voir. C’est vrai que ça, ça a été aussi un poids parce que, comme je ne paraissais pas forcément malade, je pense qu’on se disait du coup qu’on n’avait pas forcément besoin d’aller me voir, que j’en avais pas besoin. C’était comme si je n’avais pas de traitement, comme si je n’avais pas de maladie.
Devoir toujours se justifier
Les désavantages liés au cancer invisible, ça a été finalement de devoir porter un poids que personne ne voit. Un poids qui est très lourd quand même. Et le fait de minimiser des choses ou de penser que je suis capable de… alors que non, j’ai juste pas forcément la force d’expliquer. De devoir tout le temps expliquer que je suis malade, c’est trop dur pour moi. C’est très fatigant aussi.
Un message que j’aimerais faire passer par rapport au cancer invisible, c’est que, à partir du moment où on est au courant – que ce soit un ami ou quelqu’un de la famille, un proche, un collègue – que quelqu’un est malade, il ne faut pas attendre de voir physiquement que la personne endure cette maladie. Il faut l’aider. Il faut essayer de l’aider, par exemple en lui rendant un service ou juste en étant là. Même si elle ne demande rien. Et surtout si elle ne demande rien.
Il y a quand même des avantages à avoir un cancer invisible : j’ai eu la chance et j’en suis reconnaissante d’avoir gardé mes cheveux. Au moins, quand je me balade dans la rue, ça ne se voit pas et je suis libre. Et pour moi, c’est comme si pendant quelques secondes ou quelques minutes, je ne suis pas malade.