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Le combat à seins nus

{{ config.mag.article.published }} 27 février 2020

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La Liberté guidant le peuple. Photo : ©François Rousseau

Les seins quittent le domaine de l'intime et se font politiques : ils se dressent pour le droit des femmes à disposer de leur corps, de leur vie, de leur santé. Des amazones aux Femen, quand le sein (ou le "non-sein") devient affirmation de sa liberté.

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A qui appartiennent les seins? A l’enfant qui les tête? A l’amant qui les caresse? A l’artiste qui les « met en oeuvre « ? A la loi, qui peut les interdire? Ou tout simplement à la femme qui les porte? Les mêmes questions se posent sans cesse dés lors que les poitrines débordent dans la rue, sur la toile, la place publique pour défendre, pêle-mêle, les droits des femmes, leurs libertés, leur dignité, mais aussi leur plus grand contrôle sur les décisions médicales qui les concernent. De plus en plus de femmes malades de cancer veulent que leur liberté de rester amazone soit respectée.

Montrer ses seins pour un combat politique:  liberté d’expression?

Une chose est sure: depuis le 26 février 2020, montrer ses seins dans l’espace public dans le cadre d’une manifestation politique relève de la liberté d’expression. La Cour de cassation a  confirmé que montrer ses seins nus dans un lieu public reste bien de l’exhibition sexuelle – mais a également relaxé Iana Zhdanova,la militante qui avait exhibé sa poitrine au musée Grévin de Paris, en juin 2014,  et « tué » symboliquement la statue de cire de Vladimir Poutine. La plus haute juridiction a reconnu que son geste était une « démarche de protestation politique ».

Lire notre Historique du combat à seins nus.

L’agression par une Femen de la statue de cire de Poutine en 2014

Le sein nourricier

Pour Marilyn Yalom, qui dirige l’Institut de recherche sur les femmes et le genre à l’université de Stanford et explore ces questions avec brio et humour dans « Le Sein, une histoire« (1), le combat à seins nus n’a rien d’une nouveauté. Les « mamelles de la nation » ont certes longtemps illustré les fantasmes masculins. Mais depuis quarante ans, les féministes ont repris le contrôle de ce puissant et totémique symbole. « Il n’est pas anodin qu’en signe de résistance, le mouvement de libération des femmes ait commencé par ce célèbre autodafé de soutiens-gorge, constate Marilyn Yalom. En se libérant de ce carcan de tissu, les femmes refusaient le contrôle imposé sur elles de l’extérieur. » En soustrayant leurs seins à la domination, elles se les réappropriaient.

Front libération du téton…

Aujourd’hui, les seins-étendards reviennent à la charge, aussi divers qu’hétéroclites. A Rio, des happenings pro-monokini protestent contre les peines de trois à douze mois d’emprisonnement encourues par les adeptes du topless. Au Texas, des étudiantes ont initié la campagne When Nature Calls, qui montre des femmes allaitant dans des toilettes. Sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les écrans américains (où l’apparition d’un sein dans un film provoque son interdiction aux moins de 13 ans), le mouvement Free the Nipple, porté par Rihanna ou Scout Willis, s’est érigé en front de libération du mamelon…

Les Femen font de leur sein une arme de propagande

Mais de toutes les initiatives ce sont celles des Femen, qui offrent régulièrement leur poitrine à la mitraille médiatique, les plus spectaculaires. En détournant les codes du porno, elles entendent combattre le sexisme et l’archaïsme des institutions religieuses, politiques… A l’heure où les messages passent d’abord par l’image, Instagram ou Twitter, les manifs sans soutifs de ces « sexy Ukrainiennes » aguichent l’œil médiatique. L’idée est de taper fort pour sortir du lot, d’être vues pour espérer être entendues…

Une Femen s’enchaîne sur un pont parisien

Seins courageux ou seins scandaleux…

Placardés en une des magazines, sur les affiches publicitaires, ces seins militants  font débat jusque dans les campagnes pour le dépistage du cancer du sein. « Il y a un certain cynisme des magazines à afficher des femmes aux seins superbes pour traiter de la prévention, remarque Viviane Bruillon, psychiatre, psychanalyste chargée d’enseignement à Paris-XIII, qui a dirigé l’ouvrage collectif Le Sein, images, représentations(3). Lorsqu’on sait que le pic d’apparition de ce cancer se situe vers 54 ans, on peut se demander si la communication est bien appropriée. Si elle ne sert pas de prétexte pour soutenir ou réactiver un discours érotisé. »

Hélène Darroze : « Cinq minutes de courage »

Que faire, alors ? S’appuyer sur des femmes au physique plus « normal » ? Hélène Darroze, la chef étoilée, a fait partie de celles qui, en 2009, avaient accepté de poser poitrine nue pour une campagne de Marie Claire en faveur du dépistage.

« Au début, j’ai refusé, témoigne-t-elle. Et puis j’ai pensé à des amies atteintes par la maladie, dont une très chère, décédée quelques mois plus tôt. Toutes leurs souffrances valaient bien cinq minutes de courage. La photo, je ne la connais pas, je n’ai jamais voulu la voir, d’autant qu’à l’époque je ne me sentais pas particulièrement bien dans mon corps. Les réactions ont été plutôt positives, mais ça a aussi fait jaser dans mon dos et des clients se sont dits offusqués. Pour autant, je ne regrette rien. »

Trop beaux ou pas assez, les seins nus n’échappent donc jamais au jugement de valeur. Jusqu’à éclipser la cause qu’ils portent.

La liberté des amazones

Alors que dire du spectacle du sein unique… Il est  de plus en plus présent dans le combat pour l’émancipation féminine. On l’a d’abord vu sur les chars des Gay Pride (plus tolérantes à la différence). A la Une de Rose Magazine. Dans les congrès médicaux. Dans des expositions. Partout, des « amazones » clament qu’avec un sein, ou même aucun, elles n’en sont pas moins femmes. Un spectacle scandaleux et honteux pour les uns, courageux et libérateur pour les autres.

Une photographie de l’exposition des Amazones ©Mario Gilbert

Fondatrice de l’association Les amazones s’exposent (http://lesamazones.fr), Annick Parent se souvient : « Lors d’une intervention dans un congrès, un médecin m’a lancé : “Vous n’êtes pas asymétrique, vous êtes mutilée !” » Un verdict reçu comme un uppercut.

Lire notre article « Apaisée sans seins »

Chaque année, pourtant, 15 000 Françaises apprennent qu’elles vont devoir subir l’ablation d’un sein. 70 % décident de ne pas se faire reconstruire. « Mais ça reste tabou. Les magazines, les médecins ne le disent pas. Les premiers ne parlent que des progrès de la chirurgie et montrent des seins reconstruits sur papier glacé ; les seconds, en tout cas un certain nombre, se sentent coupables et veulent réparer. »

Reconstruction du sein après un cancer: une décision intime

Mais réparer qui ? Eux-mêmes ? La femme ? La mère ?… Toujours est-il que la mastectomie reste dans une zone obscure de non-dit, non-vu. Pourtant de plus en plus d’amazones assument ce choix: « Nous ne prônons pas la non-reconstruction, insiste Annick, mais la liberté de choix. C’est à nous de décider, pas aux médecins, ni à la société. » Aujourd’hui, le sein militant, celui qui est à la pointe du combat des femmes à disposer d’elles-mêmes, à être elles-mêmes, c’est peut-être bien celui-là : le sein absent.

Marie-Catherine De La Roche

(1) Galaade Éditions. (2) Zones. (3) L’Harmattan.

 


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