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Frédéric Thomas : « Le cancer est un problème de biologie de l’évolution »

{{ config.mag.article.published }} 25 novembre 2022

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Pour son exposition Cancers, la Cité des sciences et de l’industrie s’est entourée d’éminents scientifiques, parmi lesquels Frédéric Thomas, codirecteur du centre de recherche écologique et de l’évolution. Etonnant ? Pas tant que ça…

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Vous êtes spécialiste de l’évolution, quel lien avec le cancer ?

Si on se penche sur l’histoire du cancer, on constate qu’il s’agit au départ de cellules saines de l’organisme qui mutent, se désolidarisent du système collectif, prolifèrent et sont très instables génétiquement. In fine, cela conduit à une tumeur, constituée d’un ensemble de cellules “voyous” quasiment toutes différentes. Pour elles, seules deux fonctions comptent : la survie et la prolifération.

La cellule cancéreuse est une entité vivante. Et comme tout organisme vivant, elle est soumise à la sélection naturelle, exercée par son environnement, pour survivre et se reproduire. C’est donc un pur problème de biologie évolutive.

En comprenant cela, on peut mieux traiter les cancers ?

Je ne dis pas que la biologie évolutive arrive avec des solutions clé en main pour soigner les cancers. Elle permet en revanche d’apporter un nouveau regard sur la maladie. La biologie de l’évolution aide à répondre à des questions comme : d’où vient le cancer, quand il est apparu dans l’histoire du vivant, pourquoi certaines espèces n’en développent jamais, comment il progresse, … Pendant longtemps les oncologues ne comprenaient pas pourquoi un traitement, qui fonctionnait très bien au début, cessait soudainement de marcher. Là, aussi la biologie de l’évolution apporte des réponses.

« Pour les cellules tumorales, seules deux fonctions comptent : la survie et la prolifération. »

Comment explique-t-elle ces échecs thérapeutiques ?

En fait, il s’agit d’un problème de résistance. C’est un peu comme avec les bactéries : si on donne un traitement à une personne infectée par une bactérie sensible à l’antibiotique qu’on lui donne, on va tuer toutes les bactéries et la personne sera guérie. Mais si la personne est infectée par plusieurs bactéries et que, parmi celles-ci, certaines sont résistantes à l’antibiotique, on va tuer les bactéries sensibles mais on va favoriser les bactéries résistantes. Elles seront alors dans un environnement sans concurrence et vont pouvoir proliférer. C’est pareil avec le cancer : quand un traitement ne fonctionne plus, c’est parce qu’on a sélectionné les cellules tumorales résistantes à ce traitement.

La biologie de l’évolution a la solution pour contourner ce problème de résistance au traitement ?

En tout cas, il y a plusieurs pistes, comme la thérapie adaptative qui essaie de maintenir au sein de la tumeur un équilibre entre les cellules sensibles et résistantes. On peut aussi tirer des enseignements de la biologie des extinctions. Prenons l’exemple des dinosaures : ce n’est pas la chute d’une météorite qui les a tous tués d’un seul coup. Elle a considérablement diminué leur population, a réduit la variabilité génétique, morcelé les populations mais ce n’était pas suffisant. Il a fallu une myriade d’autres événements pour que les dinosaures disparaissent totalement : manque de nourriture, parasitisme, …

La transposition dans le traitement du cancer, ce sont les polythérapies. Quand des cellules tumorales sont très fortes pour résister à une thérapie donnée, c’est souvent au détriment de la résistance à d’autres thérapies. Tout l’enjeu est donc de trouver l’ordre précis dans lequel donner les traitements : commencer par une chimiothérapie néoadjuvante, par exemple, qui va réduire la taille et la diversité génétique de la tumeur. Puis, continuer avec une myriade de petits traitements qui n’auraient pas eu d’effet sur la grosse tumeur mais qui vont venir terminer le travail d’éradication sans sélectionner de résistance.

Y a-t-il d’autres stratégies basées sur des principes évolutifs dont la cancérologie peut s’inspirer ?

Ce que nous ont appris les sciences de l’écologie et de l’évolution c’est que, pour éradiquer un organisme, il est souvent plus efficace de jouer sur son environnement que de l’attaquer de façon frontale. Prenez les moustiques. Quand on veut les éradiquer d’une zone où ils prolifèrent, on intervient sur leur environnement : en asséchant les marais à l’époque où les larves se développent. C’est beaucoup plus efficace que d’essayer de tuer les moustiques les uns après les autres.

Dans le cas du cancer, il y a des similarités. Toutes les thérapies qui ont pour but non pas de détruire directement les cellules cancéreuses mais de rendre l’environnement tumoral inadapté reposent sur cette logique. L’avantage de ces thérapies c’est qu’elles limitent les problèmes de résistance parce que la cellule tumorale peut plus difficilement mettre en place des mécanismes pour les contourner.

Et en ce qui concerne les métastases ?

C’est un enjeu majeur puisqu’on sait que, ce qui nous tue, c’est rarement les tumeurs localisées mais la généralisation de la maladie : quand la tumeur primaire métastase. Actuellement, on ne sait toujours pas pourquoi certaines cellules quittent la tumeur primaire pour s’installer ailleurs. Est-ce que c’est un problème d’encombrement physique ? Est-ce que c’est un problème de compétition entre les cellules ? Est-ce que c’est en raison de la dégradation de l’environnement tumoral ? Beaucoup de biologistes travaillent sur les mouvements de populations dans le monde du vivant, comme la migration. Leurs travaux pourraient nous aider à mieux comprendre l’origine de la dispersion des cellules tumorales.

L’oncologie est-elle prête à ce changement de perspective ?

On a un très bon accueil de la part des oncologues. Il y a eu des progrès colossaux grâce à leur travail mais, hélas, on continue de mourir massivement des cancers généralisés. Et c’est une maladie d’avenir puisqu’on vit de plus en plus longtemps et notre mode de vie maltraite notre ADN comme jamais dans toute l’histoire de l’humanité.

La première chose à avoir vis-à-vis de cette maladie, c’est de l’humilité et de l’ouverture d’esprit aux autres disciplines scientifiques. C’est un peu comme une forêt : quand on la regarde toujours avec le même angle, on voit toujours les mêmes arbres. Mais il suffit de faire quelques pas de côté pour voir de nouveaux arbres. Pour avoir une image plus complète du cancer, il est bon de s’entourer de disciplines scientifiques différentes : ça ne peut qu’améliorer notre compréhension de la maladie pour mieux tenter de l’éradiquer ou, en tout cas, de vivre avec, et de diminuer la souffrance humaine qui y est associée.

À VOS AGENDAS !

L’expo Cancers est à découvrir à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette, à Paris, jusqu’au 23 août 2023.

Propos recueillis par Emilie Groyer


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Emilie Groyer

Docteur en biologie, journaliste scientifique et rédactrice en chef du site web de Rose magazine

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