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Elle traverse la Manche à la nage pour alerter sur le cancer de l’amiante

{{ config.mag.article.published }} 26 juillet 2019

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Bouleversée par la mort de son père emporté en quelques mois par un mésothéliome pleural malin, Véronique Fresnel-Robin a décidé de lever des fonds pour financer la recherche contre les cancers de l'amiante et se lance un défi fou : traverser la Manche à la nage.

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« Je suis Madame Tout le monde moi ! Je suis arrivée avec mes kilos en trop, sans sponsors, en n’ayant pas fait de sport depuis 20 ans. » Yeux bleus rieurs, grand sourire, la cinquantaine, Véronique Fresnel-Robin est pleine de vitalité. L’année prochaine, elle va tenter le projet un peu fou de traverser la Manche à la nage, en solo et en maillot. Ce défi, elle le réalise en mémoire de son père, décédé des suites d’un cancer de l’amiante : le mésothéliome pleural malin. Un projet double : pour le sport et pour la cause !

Cette aventure débute par le retour dans sa vie de sa passion d’adolescente. Nageuse de compétition dans son plus jeune âge, Véronique abandonne ce sport pendant de longues années avant de replonger dans le grand bain à l’âge de 45 ans. À Vendôme, où elle réside, un de ses amis participe au Défi 41 : 41 « ironman »1 en 41 jours, pour une association différente chaque jour. Un matin, elle l’accompagne nager et là c’est le déclic : « Je me suis dit : c’est ça que je veux faire. »

Le début du rêve

Véronique reprend les entrainements en piscine et se prend à rêver. Un vieux rêve qui lui trotte dans la tête depuis des années : la traversée de la  Manche. À l’époque, elle suit sur les réseaux sociaux Philippe Fort qui se prépare à sa première traversée. Elle contacte aussi d’autres nageurs de l’extrême et échange avec eux sur leur passion commune. S’ensuivent des conseils de livres, de films… Ils deviennent finalement des amis.

En septembre 2017, un des nageurs qu’elle a contacté, Hugues Lebel, lui propose de participer aux 24 heures de Lausanne. Le concept est simple : nager 24 heures dans un bassin de 25 mètres, sans sortir de l’eau plus de 15 minutes. Véronique se décide sur un coup de tête, pas vraiment entraînée pour une telle épreuve. « Dans ma tête je partais pour 12 heures seulement. » Elle sortira de l’eau 24 heures plus tard en ayant parcouru 43 850 mètres, soit 1 754 longueurs. Une révélation pour cette quinquagénaire qui n’avait plus confiance en ses capacités physiques. La traversée de la Manche devient un réel objectif.

En mémoire de son père

« Je voulais le faire pour une cause personnelle, raconte Véronique. Et j’ai rapidement pensé à l’amiante et à Papa : nous étions tellement en colère à sa mort ! » Ingénieur de formation, son père, Michel Robin, a commencé sa carrière au sein de la Compagnie électromécanique, devenue Alstom. « Les ingénieurs participaient à l’ouverture des centrales électriques, il y avait de l’amiante partout, se souvient Véronique. Ensuite il a travaillé à l’usine du Bourget, fermée depuis à cause de l’amiante justement. Il était dans les bureaux mais il a respiré cette poussière pendant des années. » Exposé dans les années 60, Michel Robin ne tombe malade qu’en 2010.

Cette année-là, Michel et son épouse doivent partir en croisière mais il ne fait que tousser. « Ma mère lui a dit : va chez le médecin ou tu vas m’embêter tout le voyage ». Mais cette simple consultation fait tout basculer. Le diagnostic tombe : les poumons de Michel sont remplis de liquide. C’est un mésothéliome pleural malin, une forme primitive de cancer de la plèvre. 1000 cas par an, 1000 décès. L’issue est inévitable : 8 à 13 mois d’espérance de vie après les premiers symptômes.

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Bernadette pose à côté du portrait de son mari, victime de l’amiante.

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« J’ai été très affectée au moment du diagnostic, confie Véronique. Ensuite mon père nous a donné une leçon de vie incroyable. » Michel Robin refuse toute chimiothérapie. « Il disait souvent : je vais mourir soit de la chimio, soit du cancer : je ne sais pas quelle option m’emportera le plus vite. » Hospitalisé à la maison, son père profite de chaque moment avec ses enfants. « Je n’ai des souvenirs que de tendresse, de fou rire, de moments de vie finalement », évoque Véronique avec émotion. Michel s’éteindra quelques mois plus tard, chez lui, entouré de toute sa famille.

Un partenariat avec le CHU de Lille 

Véronique monte alors une association, Challenge Transmanche et se met en quête d’un centre de recherche à qui reverser les bénéfices. Très vite, le nom du professeur Arnaud Scherpereel apparaît. Ce pneumologue du CHU de Lille est un spécialiste du mésothéliome pleural malin. « Je lui ai envoyé un mail, je me suis dit qu’il allait me prendre pour une folle et ne jamais me répondre, raconte Véronique en riant. En fait il m’a contacté très vite en me disant “ok, on te suit”. » Un vrai partenariat se met en place : le CHU aide Véronique sur la communication et cette dernière reversera ses gains au centre de recherche. (Lire aussi notre interview du professeur : Le CHU de Lille teste une nouvelle immunothérapie dans le « cancer de l’amiante »)

Véronique et le CHU de Lille ont un objectif de 50 000 euros, à récolter via une cagnotte en ligne. « Avec cette somme, le centre est tranquille pendant environ un an : ils peuvent recruter quelqu’un ou investir dans une machine », souligne la nageuse. L’argent servira à la recherche. « L’immunothérapie est à l’essai pour ce cancer, c’est un espoir phénoménal, soutient Véronique. C’est un cancer destructeur, le cancer de la honte pour la France : on doit soutenir la recherche. »

Une traversée en relais en 2018

Une partie des fonds récoltés servira aussi à la préparation de la traversée. Le projet coûte cher. Pour traverser la Manche à la nage, il faut être accompagné par une association spécialisée. La traversée ne se fait que dans le sens Angleterre-France.  Un bateau de pêche suit le nageur avec à son bord un pilote, un observateur officiel et des proches. « C’est le pilote qui décide de tout, y compris d’arrêter s’il estime que la santé du nageur est en danger », explique Véronique. Interdiction de remonter sur le bateau ou de s’accrocher à une perche. La location du bateau coûte entre 3000 et 3500 euros. Pour le reste, Véronique se débrouille comme elle peut. « J’ai réussi à obtenir des petits partenariats avec un opticien à Vendôme pour mes lunettes de plongée, une réduction pour du matériel de sport dans une enseigne de la ville… »

En 2018, dans le cadre de ses entraînements, elle traverse une première fois la Manche en relais avec deux autres nageurs : son ami Hugues et Rémi, qui va tenter l’aventure en solo, en août prochain. L’épreuve est très réglementée : les nageurs doivent se succéder toutes les heures dans l’eau – entre 14 et 17 degrés – dans ordre établi et immuable. À l’arrivée, la traversée aura duré 15 heures 42. Les nageurs ont parcouru 62 kilomètres, au lieu des 32 initialement prévus, à cause de la dérive liée aux courants marins.

« Je me suis rendue compte que savoir nager ne suffisait pas, plaisante Véronique. Le plus important c’est le mental. » Lorsqu’elle prend son premier relais à 2h40 du matin, elle tombe en plein milieu d’un banc de méduses. Impossible d’arrêter sous peine de pénaliser tout le relais. Alors elle serre les dents. « J’avoue que j’ai un peu crié au début, rit-elle. Mais j’ai eu la chance de ne pas faire de réactions allergiques ! Au bout d’un moment, on oublie la piqûre : le mental prend le dessus. »

Les eaux hostiles de la Manche 

L’année prochaine, elle sera seule dans les eaux hostiles de la Manche entre les paquebots, les algues et les plaques d’hydrocarbures. En fonction des conditions météorologiques, elle partira entre le 8 et le 20 juillet 2020. Ce projet l’a fait renaître. « Je ne suis plus la même femme qu’il y a trois ans, avoue Véronique. Je ne me serais jamais cru capable de faire ça ! »

C’est toute une préparation matérielle et physique qu’elle n’avait pas imaginée au début de ce projet un peu fou. Véronique travaille encore à 90% du temps dans une entreprise de courtier en assurance, mais elle réussit à s’entraîner 4 à 5 fois par semaine, coachée par Philippe Fort. À partir de septembre, elle commencera aussi le renforcement musculaire, surtout pour ses épaules. L’intensité des entraînements ira crescendo. « Je ne sais pas comment je vais faire mais ça va rentrer ! », sourit la nageuse. D’autres courses sont au programme d’ici la fin de l’année pour tester son matériel et ses ravitaillements.

Une aventure humaine 

Plus que le sport, c’est peut-être l’aventure humaine qui touche le plus Véronique. L’association ne compte que cinq personnes dont sa maman, trésorière, et sa meilleure amie, secrétaire générale. Plus largement, sa famille est aussi impliquée. « Mes frères et sœurs étaient très en colère à la mort de mon père, j’espère que ça les aide un peu, raconte Véronique. Ils sont sportifs, je pense qu’ils apprécient la démarche. » D’un naturel pudique, sa famille accepte tout de même de médiatiser l’histoire du père. « Ils m’ont dit : c’est un message porteur d’espoir. Papa aurait aimé. »

Pour récolter encore plus de fonds, Challenge Transmanche organise un Swim and Run à Vendôme. Une course mêlant natation et course à pied. La famille s’implique à tous les niveaux. Le fils de Véronique aide pour l’organisation. Ses deux frères seront présents sur le bateau pour sa traversée. « Cela ne remplacera pas mon père mais c’est exaltant ! Je reçois beaucoup de messages de soutien beaux à pleurer. » Véronique manque de mots pour évoquer son aventure hors norme. Elle a même été contactée par une association de victimes de l’amiante canadienne. « Là-bas, c’est d’autant plus courageux que l’amiante est resté commercialisé jusqu’en 2012 ! C’est encore plus un tabou qu’en France. »

« Je n’en resterai pas là après la Manche », affirme Véronique. Elle souhaite rendre son association pérenne pour continuer d’aider le centre de recherche du CHU de Lille. Et pourquoi pas créer un partenariat avec d’autres associations d’aide comme l’ARDEVA (Association Régionale de Défense des Victimes de l’Amiante des Hauts de France). Ou encore l’ANDEVA (Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante) qu’elle doit rencontrer prochainement. « Papa serait fier », assure-t-elle avec détermination.

Mathilde Durand

1. Course multi-disciplinaire consistant à enchaîner 3,8 km de natation, 180,2 km de cyclisme puis un marathon


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