Face aux cancers, osons la vie !



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Le cancer en livres

{{ config.mag.article.published }} 26 février 2015

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Ecrire sur le cancer comme une thérapie, un exutoire. Et puis se faire publier. Pourquoi ? Pour qui ? Enquête sur un phénomène éditorial.

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« En allant au fond de moi, j’ai enfin admis que le cancer m’avait brisée, lâche Nathalie, 53 ans. Écrire Une traversée fragile m’a reconstruite. » Se rassembler, se retrouver, tenter de comprendre, voilà bien la première motivation du malade-écrivain. « Quand votre colère, votre tristesse vous taraudent le jour et que vous vous repassez en boucle le film de vos peurs la nuit, sortir de ce cauchemar devient une question de survie, ajoute Catrine, 56 ans. « Laisser galoper mon stylo sur des cahiers d’écolier a été mon échappatoire, ma sortie de secours. »

De paragraphes raturés en pages noircies, Catrine a fini par boucler un livre de 140 pages. Dans Un dessein animé, elle raconte de façon résolument décalée son expérience du cancer du sein. Un travail parfois éprouvant. « Il a fallu ré-affronter des choses difficiles mais, au final, cela a été une bonne thérapie. »

Écrire pour mieux comprendre et gérer son cancer

Rien de tel que de transformer en mots pour mettre ses maux à distance. On peut alors les examiner, les décrire comme des objets extérieurs. « Cela aide à mieux comprendre la situation et, de ce fait, à mieux la gérer », confirme Margot Phaneuf, infirmière hospitalière canadienne. L’exercice est jugé à ce point thérapeutique par cette Québécoise qu’il devrait, selon elle, comme tous les moyens favorisant l’expression de soi, intégrer la boîte à outils des soignants au même titre que les pansements, prélèvements et médicaments ! « C’est spécialement important pour le malade cancéreux, précise Margot Phaneuf. Au moment où il a l’impression que sa vie bascule, où il se sent isolé, c’est un moyen de parler de soi (…) et de sa capacité de résilience. »

« Je suis vivante, j’existe, ne m’oubliez pas ! »

Annick, 51 ans, ne pourrait qu’approuver : « J’ai commencé à écrire des mails sur ce que je vivais, ressentais, à une poignée d’amis et de collègues. Mon ton était humoristique, mais c’était un cri : « Je suis vivante, j’existe, ne m’oubliez pas ! » J’exorcisais ainsi la terrible solitude où le cancer m’avait jetée. Cela a donné des échanges très riches, touchants. Un jour, j’ai tout relu. J’ai fait un tri, remis en forme, rajouté des collages, des dessins. C’est devenu un livre. Quand je l’ai eu en main, je me suis sentie libérée. La boule au ventre que j’avais depuis l’annonce a disparu… »

Publier pour aider les autres malades du cancer

Comme Annick, tous ces patients-auteurs trouvent dans l’écriture « une évasion, une fuite momentanée de la réalité qui devient rapidement une arme importante contre le stress de la maladie, les tensions inhérentes à la douleur physique (…), la dépression », souligne encore Margot Phaneuf. Mais pourquoi ne pas s’en satisfaire ? Pourquoi vouloir être publié ? D’abord, tout simplement, parce que les malades veulent aider.

C’est le cas de Nathalie. Au départ, elle n’avait aucune intention de faire partager à d’autres son ouvrage. Et puis… « Je l’ai fait lire à mon mari. Il m’a dit que cela faisait une formidable histoire, pleine d’espoir pour les autres femmes malades. Il m’a encouragée à la publier. Je me suis dit que si cela pouvait aider ne serait-ce qu’une personne, c’était déjà ça ! » Même chose pour Christiane, Montréalaise de 50 ans : « Je raconte tout de mon parcours médical et de ce qui s’est déroulé en parallèle dans ma vie. En bref, j’ai voulu faire le livre que j’aurais aimé lire quand j’étais malade. »

Le témoignage des malades du cancer, un grand succès littéraire

Pour la philosophe Claire Marin, la démocratisation de la psychanalyse, qui « a contribué à faire sauter quelques tabous sociaux et moraux », est pour beaucoup dans la multiplication des récits de soi. La parole des patients s’est libérée et investit aujourd’hui l’espace public. Si, le plus souvent, elle se propage à travers les blogs, les réseaux sociaux, elle vient aussi nourrir un genre littéraire en plein boum : le témoignage sur une expérience de vie.

Le témoignage sur une expérience de vie, un genre littéraire en plein boum.

Après le divorce, le deuil ou encore l’adoption, la maladie (physique ou mentale) est devenue une thématique majeure. Ma victoire sur le cancer du sein, une saison de ma vie est ainsi le premier livre de Christiane, notre Montréalaise. Mais il a tout de suite trouvé un éditeur. Classé au rayon biographies, il est sorti en février 2012 au Québec, et en France en 2013.

Un prix littéraire spécial « patients »

Ex-éditrice, aujourd’hui responsable éditoriale d’Innovation santé au Leem, les entreprises du médicament, Isabelle Delattre a vu monter le phénomène. D’où l’idée de créer un prix littéraire spécifique. « Lorsque nous avons lancé la première édition du « Prix de la parole du patient », en 2008, nous avions dix livres en présélection, pour la plupart des journaux personnels, et quelques récits plus ou moins romancés. Mais, en 2013, il a fallu présélectionner huit ouvrages dans une liste de quarante ! »

Le « Prix de la parole du patient 2013″ a été décerné à Hugo Horiot pour L’empereur c’est moi (éd. L’iconoclaste), qui raconte son parcours d’enfant autiste. Parmi ces nouveaux auteurs, évidemment, « de véritables écrivains se révèlent », se félicite Françoise de Maulde, éditrice et membre du jury. Et si leurs témoignages rejoignent les rangs des œuvres plus littéraires, c’est tout bonnement qu’ils en remplissent les critères : « Ils nous disent quelque chose qui va bien au-delà du récit clinique », précise l’éditrice. Autrement dit qui touche à l’universel.

« Le cœur de la littérature, c’est la prise de conscience de son humanité profonde », résume le psychiatre Patrick Autréaux, condamné dix ans plus tôt par un cancer dont le pronostic a finalement été revu, et auteur chez Gallimard de Dans la vallée des larmes, « un livre sur la survie et le retour dans la communauté humaine. »

Internet : un outil pour le malade-écrivain de s’autoéditer

Evidemment, les prétendants à l’impression brochée ne décrochent pas tous le Graal. C’est le cas de Nathalie, qui a envoyé sa Traversée fragile à cinq éditeurs parisiens : « Ils m’ont tous répondu poliment mais négativement. » Même chose pour Annick et Catrine. Pour autant, les trois femmes ne se sont pas arrêtées là. Elles ont autoédité leurs histoires sur Internet sur le site d’édition alternative edilivre.com. Une démarche de plus en plus courante. « Avec la multiplicité des supports éditoriaux, il y a de la place pour tous les auteurs et pour tous les lecteurs », assure la philosophe Claire Marin, elle-même à l’origine d’un récit sur une femme confrontée à une maladie auto-immune.

Qui n’est pas confronté à la maladie aujourd’hui, au moins dans son entourage ? C’est devenu une expérience banale, mais qui reste angoissante. Comprendre ce qui se passe chez les autres, même si c’est dur, permet de comprendre ses propres peurs. C’est aussi une façon de mettre les choses en perspective. Par effet miroir, on mesure la valeur qu’il y a à être en bonne santé. Le sujet fait donc de nous tous, malades ou bien portants, des lecteurs potentiels.

Karine Renard

INFO +

– Un dessein animé, de Catrine Rouzly, éd. edilivre.com
– Mon crabe et moi, d’Annick Lagrais, www.titanik.fr
– Une traversée fragile, de Nathalie Feugueray, éd. edilivre.com
– Ma victoire sur le cancer du sein, une saison de ma vie, de Christiane Landry, éd. Béliveau
– Dans la Vallée des larmes, de Patrick Autréaux, éd. Gallimard
– Hors de moi, de Claire Marin, éd. Allia


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