Ce lundi d’octobre à la Maison Rose Bordeaux, des femmes arrivent de toute la France, seules ou accompagnées de leur fille, d’une amie, d’un amoureux, pour voir enfin quelque chose de beau habiller leur sein disparu. Dans le coin cuisine, elles attendent de retrouver « leur » tatoueuse en échangeant sans tabou autour de la maladie. Progressivement, la table se couvre de gâteaux, salades, friandises…
Une démarche réparatrice
Sur l’ensemble de la semaine, elles seront ainsi vingt-cinq à confier leurs blessures
aux tatoueuses de Soeurs d’encre. Fondée il y a deux ans par la photographe Nathalie Kaïd, l’association réunit des artistes et des médecins autour d’un objectif : promouvoir le tatouage sur cicatrices après un accident ou une maladie. Une démarche réparatrice, voire salvatrice pour certaines des participantes de Rose Tattoo : « Je veux retrouver ma féminité, me réapproprier mon corps », dit l’une. « Ce dessin va m’aider à me libérer du traumatisme de la maladie et de ses conséquences », ajoute une autre…
Pour Françoise, 55 ans, le déclencheur a été la couverture du n°11 de Rose Magazine, montrant une femme au buste tatoué : « Après trois expériences de prothèses qui lâchaient, j’étais découragée et la beauté de cette photo m’a donné l’envie puis le courage de m’informer. J’ai appris l’existence de Rose Tattoo et, comme j’ai peu de moyens, j’ai sauté sur l’occasion. Un an d’attente avant d’apprendre que je faisais partie de la team 2018 ! Je me suis alors penchée sur le choix de mon motif : j’ai fait des recherches et je suis tombée sur un dessin de branche de mûrier, aux lignes fines, aériennes. J’ai communiqué l’idée à la tatoueuse qui m’avait été dévolue, Amandine. »
Condensé d’optimisme
Pour Delphine, Vosgienne soignée à Bordeaux où elle a de la famille, le choix s’est porté sur une tête de chat, placée au centre de son buste plat. Après une double mastectomie, elle a fait enlever ses prothèses en mousse qu’elle ne supportait plus et se trouve aujourd’hui « très bien sans seins ». Mais mieux encore depuis le tatouage de Laurette. « Mon chat, Grisouille, m’a particulièrement aidée durant ma maladie. Le dessin lui ressemble vraiment ! »
Sophoas, Toulousaine, a préféré un motif bouddhiste « protecteur pour ma famille et moi-même, histoire de tourner définitivement une page de ma vie »… Quant à Nancy, venue de Dordogne avec son amoureux Michaël, tatoué depuis d’âge de 16 ans, elle a choisi quelques-unes des 38 fleurs du Dr Bach, aux propriétés bénéfiques…
Pour les tatoueuses, l’aventure représente un défi. Amandine, alias Madness_Art, participe à l’opération depuis 2017. « La première fois, j’avais un peu peur parce que j’ignorais tout des cicatrices sur le sein. Heureusement, on a été formées par les médecins et oncologues de l’institut Bergonié, et j’ai été heureuse de tatouer ma première ancienne malade. Cette année, j’en ai tatoué deux. On communique via les réseaux sociaux. Elles expriment leurs souhaits, je leur dis si c’est possible et, ensemble, nous définissons un motif, un dessin. Cette expérience donne du sens à mon travail habituellement plus fashion et les rencontres à la Maison Rose sont un vrai condensé d’énergie et d’optimisme. » Même enthousiasme pour Odré : « J’ai perdu ma meilleure amie d’un cancer du sein, alors participer à Rose Tattoo, c’était pour moi une évidence. Je viens de réaliser un Bouddha, un arbre de vie et un superbe crâne en noir et gris agrémenté de fleurs de couleurs. »
Martine Crespin
Photos : Nathalie Kaïd