Je m’appelle Karine, j’ai 46 ans. J’ai un BAC+5 en poche et 20 ans de carrière derrière moi. Pourtant, je me retrouve aujourd’hui sans travail et sans ressources propres : je dépends financièrement de mon mari. Cette plongée aux enfers, je la dois à un cancer du sein devenu chronique en 2014. Depuis mes 25 ans, j’enchaîne les traitements pour le contenir : chirurgies, chimiothérapies, hormonothérapies, traitements innovants… Les médecins ont même dû me retirer mes ovaires avant que je n’aie eu l’occasion de porter un enfant : les œstrogènes qu’ils produisaient risquaient de favoriser la propagation du cancer dans le reste de mon corps. À chaque nouvelle rechute, un nouveau traitement… avec son lot de nouveaux effets indésirables.
Mon conjoint gagne trop pour que je prétende à l’AAH
Malgré tout, pendant les phases de rémission, j’essaie de reprendre un semblant de vie normale. Pour moi, cela signifie notamment reprendre une activité professionnelle. J’envoie des centaines de lettres de motivation, je passe autant d’entretiens et je continue de me former. Mais je dois me rendre à l’évidence : la fatigue, les douleurs et mes problèmes de concentration sont incompatibles avec un emploi à temps plein, et les temps partiels ou les mi-temps dans mon domaine, l’administration, ne courent pas les rues. Pôle emploi ne sait plus quoi faire de moi. Et moi, je m’épuise à trouver des plans B pour me maintenir à flot.
Il y a 3 ans, en désespoir de cause, je me décide à demander une allocation adulte handicapé. Il faut que je refasse surface. La réponse me fait boire la tasse : “Vous n’avez pas le droit à cette aide, votre conjoint gagne trop”. Je ne comprends pas. Où est le rapport ? Pourquoi devrais-je perdre mon autonomie sous prétexte que je suis pacsée à un homme qui travaille ? J’ai l’impression d’être renvoyée à l’époque de ma grand-mère ! En 2022, on est encore bien loin de l’égalité homme-femme. Le commentaire qu’ajoute la conseillère me fait toucher le fond : “C’est dommage, si vous aviez eu des enfants, votre dossier serait passé…” J’ai envie de lui hurler que la maladie ne m’a pas laissé le choix. Je m’abstiens.
La déconjugalisation arrivera peut-être trop tard
Les portes se ferment sur moi les unes après les autres : le travail, la société. Même celle de mon propre toit. Les relations avec mon conjoint sont devenues compliquées. Il ne sait plus gérer notre relation : mes changements physiques importants, mon avenir incertain, ma dépendance. Quand il m’arrive de lui demander un peu d’argent, je dois justifier mes dépenses. J’ai l’impression d’être une ado. Cette situation est infantilisante et rabaissante. Je me sens comme un poisson rouge dans un bocal. Piégée.
Quand la déconjugalisation de l’AAH est votée en juillet dernier à la quasi-unanimité, je reprends une bouffée d’oxygène…avant de boire la tasse quand je comprends qu’elle ne sera pas mise en place avant octobre 2023. Plus d’un an à attendre ! Pourquoi ? Qu’est-ce qui justifie un tel délai ?! Une nouvelle porte me claque au visage. Comment vais-je tenir ? D’autant que mon état de santé s’est à nouveau dégradé : j’ai commencé un nouvel essai clinique qui va engendrer encore des frais… Je ne vois pas d’issue. À part, peut-être me séparer de mon conjoint. Seule, je pourrais prétendre à des aides sociales. Mes ressorts sont aujourd’hui usés, ils ne tiendront plus longtemps. Messieurs et mesdames du gouvernement, hâtez-vous !
Propos recueillis par Emilie Groyer