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Israël, le pays de l’or vert

{{ config.mag.article.published }} 25 mai 2018

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Dix ans après avoir ouvert la porte au cannabis thérapeutique, l’État hébreu multiplie les indications pour lesquelles il est autorisé et travaille activement à sa reconnaissance comme « médicament ».

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« Ça vous dérange, si je fume ? » Il est 10 heures du matin à Modiin, ville nouvelle perchée sur des collines arides, à mi-chemin entre Tel-Aviv et Jérusalem. Shlomi Sendak, T-shirt violet imprimé d’une feuille de cannabis, nous reçoit dans son appartement où flotte déjà une odeur douceâtre. Puisqu’on l’y autorise, le sexagénaire émiette une grappe de fleurs séchées de cannabis et roule sa cigarette. En Israël, pas besoin de se cacher ni de se fournir dans la rue : le cannabis thérapeutique est légal après accord médical. Sa dose mensuelle de fleurs séchées, 80 grammes de la variété CBDream, est livrée à Shlomi dans de petits sachets opaques, sous vide, avec code-barres et composition affichée en THC et CBD. Dans ce petit pays de 8 millions d’habitants, le marché du cannabis thérapeutique est légal et très encadré.

Plus grosse des huit « fermes » habilitées à produire et distribuer du cannabis en Israël, BOL Pharma étend ses serres sur plus de 3 000 m2 sous haute surveillance.

En 1995, Shlomi lit dans un magazine que le Pr Mechoulam, « pape » du cannabis thérapeutique, mène une expérience dans un hôpital de Jérusalem. En versant quelques gouttes d’huile de cannabis sous la langue des enfants malades de cancer, il fait cesser les vomissements dus aux chimios. Shlomi milite alors carrément pour la légalisation, lance un magazine, puis le Green Leaf Party. Si ce parti n’a jamais réussi à franchir le seuil de la Knesset, le débat autour de l’usage du cannabis thérapeutique s’impose peu à peu. Les premières victoires ne tardent pas : dès 1996, quelques dizaines de malades du sida ou de cancer sont autorisés à cultiver la plante chez eux. Sept ans plus tard, l’État hébreu passe à un système de licences, à la fois accordées aux malades (d’abord au compte-gouttes), sur demande de médecin, et à des fermes de production de cannabis. Aujourd’hui, elles sont huit à disposer de cette autorisation d’État.

85,5 euros la dose

32 000 patients bénéficient désormais du cannabis thérapeutique, dont 40 % en oncologie. » Le Pr Michael Dor, stature imposante, regard bleu sous ses cheveux très blancs, connaît tous les chiffres, les dosages, le nombre d’usagers par pathologie. Et pour cause : depuis quatre ans, il est  » conseiller médical en chef pour le cannabis thérapeutique  » auprès du ministre de la Santé. C’est lui qui signe chaque permis. Qui connaît chaque cas. On le rencontre dans un café de Jérusalem, en face de la Cour suprême, où certains citoyens n’ont pas hésité à traîner l’État pour obtenir des jugements élargissant l’accès au cannabis thérapeutique à leurs pathologies.

L’autorisation, si elle est accordée, est d’abord de 20 g par mois. Ensuite, la dose pourra grimper jusqu’à 200 g. La marchandise est délivrée dans des points habilités, centres médicaux ou pharmacies, avec coffres-forts et vigiles à l’entrée. Le prix, fixé par l’État, est de 370 shekels par mois quelle que soit la dose, soit 85,5 euros. Pas de remboursement, sauf pour 2 000 soldats souffrant de stress post-traumatique (facture prise en charge par le ministère de la Défense).

« Dix ans d’expérience ont montré que c’est efficace sur deux tiers des patients »

Pour obtenir une licence de consommation médicale, la procédure est stricte : pas question de donner des habits légaux à une utilisation récréative. La demande doit être présentée par un médecin spécialiste. Un patient au passé criminel, ou présentant des antécédents psychiatriques de type schizophrénie, addiction, voire dépression sévère ne pourra pas recevoir cette autorisation. Son dossier doit aussi retracer le détail de tous les médicaments prescrits – et achetés – au cours des deux dernières années. Objectif : prouver que les molécules existantes sont insuffisantes pour le soulager. Ce cannabis, produit selon un cahier des charges lui aussi très strict dans des fermes habilitées, est donc une réponse à l’échec des molécules traditionnelles.

© Eldad Carin

« Je ne pense pas qu’il faille utiliser du cannabis en première intention », précise le Pr Dor. Une exception, cependant : « les douleurs et effets secondaires des traitements de cancer, pour lesquels je m’efforce de délivrer l’autorisation plus vite. L’idéal serait dans les 24 heures ». Les oncologues sont d’ailleurs encouragés à prescrire eux-mêmes : dix d’entre eux ont reçu l’autorisation de délivrer des licences sans la signature du Pr Dor, qui ne voit pas pourquoi « on laisserait ces malades attendre et souffrir ».

À l’hôpital Ein Karem-Hadassah, gigantesque établissement au sud-ouest de Jérusalem, le Pr Reuven Or n’a pas eu besoin d’encouragements et fait partie de ces médecins autorisés à délivrer une licence. Dès 1995, au côté du Pr Mechoulam, « j’ai compris le potentiel du cannabis », raconte l’hémato-oncologue. Les traitements de chimiothérapie préalables à une greffe de moelle sont excessivement agressifs. Les effets secondaires « perdurent parfois jusqu’à six mois après les traitements, entre mycoses de l’œsophage, risques de complication inflammatoire avec diarrhées et douleurs ». Alors, pour soulager ses patients, le Pr Or n’hésite pas. Il prescrit du cannabis à la moitié d’entre eux, « de préférence sous forme d’huile » : des extraits de plante qui combinent le CBD, au potentiel anti-inflammatoire, et le THC, « intéressant pour contrer les symptômes ». Deux gouttes sous la langue, deux ou trois fois par jour, aussi longtemps qu’il le faut : « Dix années d’expérience ont montré que c’est efficace sur les deux tiers des patients pour limiter la douleur et les vomissements, renforcer l’appétit. Sans effets secondaires ni addiction. J’espère qu’on disposera à l’avenir d’un plus large éventail de produits et de dosages grâce à l’étude des différents composants », se réjouit Reuven Or.

Gélules, sprays, inhalateurs

Israël, « terre promise du lait, du miel et du cannabis médical » ? La formule de Tamir Gedo, PDG de BOL Pharma, l’une des huit entreprises habilitées par le gouvernement à produire l’or vert, fait sourire mais illustre bien l’enjeu économique. Le siège de BOL (pour Breath Of Life, soit « souffle de vie ») est installé au cœur d’une vaste plaine plantée d’oliviers et d’orangers, dans le sud-ouest du pays. Le site ressemble à une entreprise pharmaceutique « classique ». Grillagé, vidéosurveillé et aussi impénétrable que Fort Knox. On n’y entre qu’attendu, badgé et accompagné. Pas question de risquer un pas de côté dans les 3 000 m2 du bâtiment principal, et encore moins en direction des serres et laboratoires qui s’étendent sur la même superficie. BOL Pharma a vu grand : de quoi produire jusqu’à 80 tonnes par an. Dans leur pot, les plants de cannabis s’alignent en rangs serrés, aux bons soins d’ouvriers vêtus et gantés de blancs. L’extraction puis le conditionnement obéissent à un cahier des charges très précis. Un chef agronome veille aux paramètres biologiques et chimiques de la plante. Objectif : contrôler le taux d’ingrédient actif, assurer sa stabilité au fil des récoltes. « Aujourd’hui, beaucoup de patients reçoivent des fleurs séchées. Dans les années à venir, ce seront des gélules, des sprays avec inhalateurs de poche », explique le PDG en disposant devant nous ses exemplaires de démo. Tamir Gedo en est sûr : « On est à l’aube d’une nouvelle classe de produits, qui remplaceront les opioïdes. » Plus au nord, à l’institut de Technologie d’Haïfa, le professeur de biologie Dedi Meiri a entamé il y a trois ans une gigantesque collecte de données sur le cannabis : « Ce produit contient 144 cannabinoïdes et plus de 500 composants. Ma mission : trouver ce qui fait que tel composé, à tel taux et issu de telle souche de plante fonctionne sur tel patient. Cela posera les bases scientifiques d’une véritable médecine personnalisée. » L’approche empirique n’a qu’un temps. Tout le monde, ici, évoque ce nouveau défi : doter le cannabis thérapeutique d’un vrai statut – médicament et/ou complément alimentaire –, qui permettra de l’exporter.

 


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Claudine Proust

Elle a débuté en 1989 au Parisien, puis s’est spécialisée dans les sujets de santé, d’éthique et de société. Depuis 2016, elle est pigiste pour divers titres (Top santé, Pleine vie...) et collabore régulièrement à nos pages. « Ce que j’aime dans le magazine Rose, c’est le lien avec et entre les lectrices. L’incroyable énergie, la gaîté (oui !) et la sororité qu’elles transmettent. »

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