Que de grandes sociétés savantes françaises et internationales recommandent aujourd’hui des injections de toxine botulique et d’acide hyaluronique ou encore des séances de laser basse énergie peut sembler décalé. Mais ça s’explique ! Ces techniques stars de la médecine esthétique ont bien plus à offrir qu’un spectaculaire coup de jeune.
On le constate particulièrement en oncologie, dans le domaine des soins de support, où elles se montrent très efficaces pour soulager les douleurs liées au cancer et aux traitements (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) ou pour en atténuer certains effets des plus indésirables. Néanmoins, tous les hôpitaux ou les centres de lutte contre le cancer ne les proposent pas, et ils ne sont pas toujours remboursés, aussi n’hésitez pas à demander conseils et précisions à l’équipe médicale qui vous accompagne.
Et la lumière fuse…
Plutôt connue sous le terme de laser basse énergie, cette technique de thérapie par la lumière a récemment été renommée photobiomodulation ou PBM. Depuis près de 60 ans, la médecine esthétique l’exploite dans le traitement des signes liés au photovieillissement de la peau (rides, ridules), du relâchement cutané, ou pour corriger les cicatrises d’acné ou les vergetures. Capable de pénétrer plus ou moins profondément le derme, l’énergie lumineuse agit directement sur les cellules pour les revigorer.
Aujourd’hui, la PBM commence à se faire une place dans les services d’oncologie et d’hématologie. « C’est un excellent traitement pour booster la cicatrisation, car elle stimule la production de collagène et d’élastine », décrit le Dr Antoine Lemaire, chef du pôle cancérologie et spécialités médicales du centre hospitalier de Valenciennes. « Elle a aussi des effets anti-inflammatoires et analgésiques en agissant sur le stress oxydatif et en limitant la production de molécules pro-inflammatoires, ce qui nous permet de l’utiliser dans de nombreuses situations. »
La PBM a particulièrement démontré son efficacité dans la prévention des mucites (ulcérations douloureuses situées dans la bouche ou le système digestif) – un effet secondaire fréquent : entre 20 et 40 % des patients traités par chimio en souffrent. Une proportion qui grimpe à plus de 80 % voire 100 % chez les patients atteints de cancer ORL et ceux ayant reçu une greffe de moelle osseuse.
En pratique, pour prévenir les mucites, l’Association internationale des soins de support (Afsos) recommande au moins cinq séances d’une demi-heure par semaine tout au long du protocole de soins. Plus ou moins indolore et sans aucun effet secondaire, ni contre-indication, ce soin consiste à placer dans la bouche un petit pommeau lumineux, ou des fibres optiques tissées, pour que la lumière soit au plus près des muqueuses. Elle peut aussi opérer à travers la joue.
Son efficacité n’est pas de 100 %, mais elle permet de retarder l’apparition des lésions et d’en diminuer la gravité. « Chez des patients souffrant de mucites sévères, nous avons pu obtenir des améliorations importantes en quelques jours, évitant ainsi l’alimentation par sonde nasogastrique ou des perfusions de morphine pour la douleur », relève le Dr Antoine Lemaire.
Grâce à l’amélioration des dispositifs émettant cette lumière bienfaisante, son champ d’application ne cesse de s’élargir pour traiter d’autres effets secondaires ou symptômes tels que la radiodermite, l’alopécie, la sécheresse buccale, l’atrophie vaginale, des douleurs complexes… De nombreuses études sont en cours pour identifier les protocoles les plus efficaces.
Toxine miraculeuse
Elle est l’un des poisons les plus puissants au monde, et pourtant la toxine botulique – le principe actif du célèbre Botox – est la première toxine à avoir été utilisée à des fins thérapeutiques. Dès le début du XIXe siècle, son action sur les muscles et les neurones intéressent. Mais il faudra attendre 1989 pour qu’elle soit autorisée en médecine, en tant que traitement… du strabisme. Puis, à la fin des années 2000, pour corriger les rides.
Depuis 2020, les injections de toxine botulique sont aussi recommandées, en seconde intention, par la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), « en cas de douleurs localisées d’origine neuropathique, qui sont des douleurs liées à une atteinte du système nerveux », précise le Dr Antoine Lemaire.
Celles-ci se manifestent par des sensations de picotements, de fourmillements, de brûlure, de décharges électriques ou encore de coups de couteau. Des douleurs bien particulières, qui ne cèdent pas face aux antalgiques classiques, et pour lesquelles la morphine et autres opioïdes ne sont indiqués qu’en troisième intention. Mais la neurotoxine, elle, parvient à en venir à bout. À condition que la zone douloureuse soit peu étendue.
Une étude menée à l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild (Paris) auprès de 16 patients atteints d’un cancer ORL, et ne pouvant plus ouvrir la bouche (trismus), montre qu’après une seule injection dans la zone douloureuse tous les patients ont vu leurs maux diminuer de 8,5 à 0,8 sur une échelle de 10. Et même disparaître pour onze d’entre eux !
Un effet persistant durant environ 3 à 4 mois. « Nous pensions que les injections permettraient aux patients d’ouvrir la bouche grâce à l’action myorelaxante de la toxine, mais seule une action antalgique a été observée. Elle a donc une action sur le système de la douleur », décrypte le Dr Marie Mailly, chirurgienne cervico-faciale, qui a réalisé ces travaux.
Ces bénéfices ont été confirmés par des études de plus grande ampleur contre placebo pour d’autres localisations douloureuses (conséquences de la radiothérapie du cancer du sein, douleurs post-chirurgicales après un cancer du poumon…). Les effets sont parfois moins rapides et spectaculaires, mais ils améliorent tout de même la qualité de vie des patients.
« Aujourd’hui, la toxine ne peut être utilisée qu’en cas d’échec d’un premier traitement contre les douleurs neuropathiques. Mais plus on l’utilise et plus on se dit qu’il faudrait la prescrire plus tôt, car on arrive à diminuer considérablement la consommation d’antalgiques, lesquels, pris au long cours, exposent à des effets secondaires », conclut le Dr Lemaire. Alors qu’aucune accoutumance n’a été observée avec l’injection répétée de toxine botulique. Et, pour le moment, on ne constate pas non plus de phénomène d’intolérance ou de perte d’efficacité. Seule contrainte : les injections doivent être réalisées à l’hôpital.
L’acide hyaluronique, l’ami intime
Collagène et acide hyaluronique (AH) sont essentiels à notre peau, où ils sont présents naturellement et à laquelle ils donnent sa souplesse et son élasticité. Quand l’acide hyaluronique vient à manquer – c’est flagrant au moment de la ménopause avec la chute du niveau des œstrogènes responsables de sa production et de celle du collagène –, la peau se dessèche, les rides s’installent, et petit à petit le visage se creuse.
Logique, donc, que l’AH soit devenu l’une des armes phares de la médecine anti-âge. Mais son pouvoir hydratant en fait aussi un allié pour les femmes sujettes à un effet secondaire très fréquent des thérapies contre le cancer : la sécheresse et l’atrophie vaginales. En effet, la chirurgie (ablation des ovaires), les chimiothérapies, les rayons ou l’hormonothérapie affectent la sphère intime en la privant d’œstrogènes. Les muqueuses vaginales devenues plus minces, moins vascularisées et moins hydratées, elles se rétractent. Conséquence : la lubrification ne se fait plus comme avant, les rapports sexuels deviennent souvent douloureux, et les cystites et autres infections s’invitent plus régulièrement.
Pour réhydrater et assouplir les muqueuses fragilisées, des gels lubrifiants ou des ovules à base d’acide hyaluronique peuvent être prescrits. Certains de ces produits ne nécessitent qu’une application deux fois par semaine, mais d’autres doivent être appliqués matin et soir, y compris en dehors des rapports sexuels.
Quand ces produits ne suffisent pas, il est possible de réaliser des injections vaginales d’acide hyaluronique. Concrètement, la zone traitée est endormie à l’aide d’une pommade anesthésiante, puis le produit est injecté au niveau des lèvres durant une dizaine de minutes. Objectifs : stimuler la production de fibres de collagène, mais aussi de vaisseaux sanguins, et relancer la lubrification naturelle du vagin. Cette technique favorise au passage la cicatrisation de la muqueuse. Les résultats sont visibles dans les heures qui suivent et durent en moyenne huit mois.
À VOIR : Retrouvez l’interview vidéo de Dr Sabban-Serfati, gynécologue obstétricienne à Paris, pionnière en France dans l’utilisation de l’acide hyaluronique en injection vulvo-vaginale.
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 21, p. 100)