Sur les coups de minuit, des applaudissements ont retenti à l’Assemblée nationale jeudi 30 janvier 2025. Les 141 députés présents ont adopté à l’unanimité une loi visant à réduire le reste à charge des femmes touchées par un cancer du sein. Les médias ont propagé cet enthousiasme au-delà des murs du temple législatif français avec la même unanimité, imprimant ainsi l’image d’une belle et grande avancée. Est-ce vraiment le cas ?
Revenons sur les principales mesures. La loi prévoit tout d’abord une prise en charge intégrale des soins et dispositifs déjà prescrits et remboursables. Sont cités à titre d’exemple, les sous-vêtements adaptés au port de prothèses amovibles et le renouvellement de ces prothèses, ainsi que le tatouage du mamelon (à condition que celui-ci soit réalisé par « un professionnel de santé dûment formé« 1).
Elle instaure en outre la création d’un forfait pour aider les femmes à financer certains achats prescrits mais, cette fois, non-remboursables. Si aucun exemple n’est précisé dans le texte, ce forfait pourrait concerner les crèmes, les vernis, les gels ou encore les manchons de compression, selon Yannick Monnet, député communiste et rapporteur du texte.
Enfin, la loi propose le plafonnement des dépassements d’honoraires liés aux reconstructions mammaires.
Une loi qui pourrait ne jamais être appliquée
Voilà pour ce qui est de la loi. Mais pour qu’elle puisse être mise en œuvre, encore faut-il que des arrêtés et décrets en précisent la liste des soins et dispositifs concernés, les modalités, les montants alloués ou encore les critères d’éligibilité. Et c’est là que le bât risque de blesser.
En théorie, les décrets d’application des lois doivent être pris le plus rapidement possible et dans un délai qui ne devrait pas être supérieur à 6 mois, mais “Tout dépend de la volonté politique, souligne Isabelle Huet, directrice générale de l’association RoseUp, forte d’une longue expérience d’attachée parlementaire. Beaucoup de lois sont votées sans que les décrets d’application ne soient jamais publiés”, et par conséquent, ne sont jamais appliquées
Un financement à définir
Dans un contexte budgétaire plus favorable aux économies qu’aux dépenses, comme en témoignent depuis des mois les vifs débats sur le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), on est également en droit de se demander comment cette loi sera financée.
Rappelons que le reste-à-charge lié au cancer est estimé à plus de 1 400€ en moyenne et que plus de 900 000 femmes sont touchées par un cancer du sein en France2.
Un plafonnement des dépassements d’honoraires dangereux

Quant au plafonnement des dépassements d’honoraires des actes de chirurgie de reconstruction mammaire, il s’agit d’une “mesure démagogique et irréaliste” selon le Dr Isabelle Sarfati, co-fondatrice de l’Institut du sein – Paris.
“En France, pour ne pas avoir de reste à charge, les patientes doivent être prise en charge par le service public mais ses services sont saturés et ne suffisent pas à faire face à la demande. Comme elles ne trouvent personne pour se faire reconstruire, elles se tournent vers le privé, où il y a effectivement des dépassements d’honoraires”, explique la chirurgienne.
“La reconstruction mammaire, c’est l’opération la plus difficile que nous réalisons. Et cette reconstruction doit être surveillée comme le lait sur le feu. C’est un suivi compliqué, chronophage, qui demande beaucoup d’attention”, souligne le Dr Sarfati. Selon elle, si les chirurgiens se voyaient imposer un plafonnement trop défavorable, ils pourraient tout simplement se détourner de ce type d’opération pour privilégier d’autres actes, plus simples et plus rentables.
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Une source d’inégalité
Cette loi pose par ailleurs question en termes d’égalité. “Je n’ai pas un cancer du sein, mais j’ai un cancer du poumon. Moi aussi j’ai besoin de crèmes et de vernis pour protéger ma peau et mes ongles !”, témoigne Pascale, une adhérente de RoseUp. Les femmes touchées par un cancer du sein ne sont en effet pas les seules à avoir besoin des soins et des dispositifs prévus par cette loi. “Pour nous c’est incompréhensible, c’est créer une hiérarchie entre tous les malades”, tranche Isabelle Huet, directrice générale de l’association.
“Je ne comprends pas ces restrictions envers les cancers du sein. Pourquoi avoir laissé les autres de côté ? Quand on a la peau brûlée par la radiothérapie, qu’est-ce qui justifie que ce soit remboursé pour les seins et pas les autres parties du corps ? Est-ce bien constitutionnel ?”, s’interroge Sabrina Le Bars, présidente de l’association Corasso qui défend les personnes touchées par des cancers de la tête et du cou.
Elle-même touchée par un cancer des glandes salivaires à 29 ans, Sabrina Le Bars doit aussi supporter des restes à charge spécifiques de son cancer. Elle débourse par exemple 300 € chaque année pour changer la lentille sclérale qui recouvre son oeil touché par la maladie. Et chaque mois, les produits pour entretenir sa lentille lui coûtent une quarantaine d’euros. “Ça fait 14 ans que je suis malade, 14 ans que je cumule et que ma famille subit ces frais”, regrette-t-elle.
Le député Yannick Monnet défend avoir voulu “mettre le pied dans la porte” dans l’espoir de voir cette loi concerner un jour tous les cancers, tout en admettant son impuissance : “Au vu de l’ampleur de la problématique du cancer en France, il faudrait plus qu’une loi écrite par deux collaborateurs parlementaires et quelques députés tondus”.
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Une approche réductrice et court-termiste
“Les députés ont le mérite d’avoir mis en lumière la problématique du reste à charge pour les femmes en traitement, une réalité cachée du cancer”, concède Isabelle Huet. Mais cette “loi d’intention” ne satisfait pas pour autant la directrice de RoseUp : “Ce qui est dommage, c’est qu’on ne voit à travers ce texte qu’un seul aspect du sujet, car la question du reste à charge dans le cadre d’une Affection Longue Durée est plus complexe. Le cancer précarise, en particulier les actifs qui perdent tout ou partie des revenus issus de leur travail. Il faudrait travailler sur leur solvabilité”, estime-t-elle.
La directrice de RoseUp regrette aussi une approche court-termiste. Selon elle, il aurait été par exemple plus utile d’investir dans l’activité physique adaptée (APA) qui a démontré son bénéfice dans la diminution du risque de survenue de certains cancers, de leur taux de rechutes et de leur mortalité. “L’APA est par ailleurs moins onéreuse que la prescription d’antidépresseurs ou que la reprise des traitements en cas de récidive” calcule-t-elle.

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Sur ce point, il faut noter que la loi prévoit un élargissement du parcours de soin3, jusque-là restreint aux personnes en post-cancer, aux patients en traitement, et ce quel que soit leur cancer. Mais là encore, la portée de cette mesure dépendra du budget alloué. “La balle est dans le camp du gouvernement”, conclut Isabelle Huet.
1. Sont considérés comme professionnels de santé, les professions médicales, les pharmaciens, les auxiliaires de santé ou encore les aides soignants. Les tatouages réalisés par des tatoueurs ou des esthéticiennes ne sont pas donc concernés par cette loi.
2. Source : Ligue contre le cancer
3. Ce parcours prévoit la prise en charge à hauteur de 180€ par patient et par an d’un bilan d’APA ainsi qu’un bilan ou des consultation diététiques et psychologiques.